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Dans mon pays, on ne m’a pas rendu justice

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Ce cri de ralliement est parti des travées du complexe Mohammed V à Casablanca. On l’entend de plus en plus dans d’autres stades du royaume. Il est arrivé même sur les terrains de l’Algérie voisine.
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Cela fait un moment que les stades de football sont devenus un terrain d’exposition et d’expression (politique ou pas, on verra plus loin dans le texte). Le phénomène n’est pas nouveau mais il a pris une nouvelle tournure depuis l’apparition de la culture des « tifos », qui est très récente au Maroc. Nous avons trois clubs qui produisent régulièrement ces «tifos», qui émanent des deux principales villes du royaume: le Wydad et le Raja pour Casablanca, et les FAR pour Rabat.

Que disent ces tifos, que certains appellent, peut-être d’une manière abusive ou romantique, «Sawt achaab» ou la voix du peuple?

Il faut jeter un œil au dernier derby Wydad–Raja, retransmis dans tout le monde arabe et que beaucoup de Marocains ont regardé avec «fierté». Pourquoi donc cette fierté? Eh bien, ce n’est pas le jeu qui a enflammé les analystes mais les tifos déployés par les ultras des deux clubs. Ces tifos ne disaient rien de bien passionnant, mais le graphisme, l’animation visuelle, les effets, les fumigènes, et tout le «cirque» autour ont créé une atmosphère qui a littéralement soufflé les commentateurs arabes et fait la fierté des Marocains.

Moralité: il ne nous en faut pas beaucoup pour nous exalter et bomber le torse. Comme dans une bataille de rue où les bandes rivales sont prêtes à s’entretuer pour rien. Ce qui compte, c’est d’étaler sa force, les idées viendront plus tard… Ou jamais!

Les transformations en cours dans notre société s’expriment là où le maximum de gens se retrouvent. C’est le cas des réseaux sociaux ou, comme on vient de le voir, des terrains de football.

Allez au stade ou suivez, même de loin, les matchs qui drainent un grand public, et vous aurez une chance de prendre le pouls de la jeunesse. Les tifos ne sont aujourd’hui que le prolongement de l’esprit de la rue, du derb, où les gamins se chambrent et jouent à celui qui peut pisser plus loin que les autres. C’est le seul message possible et audible. Il n’y a pas de place pour les appels à l’amitié, à la fraternité, à la liberté, à l’égalité, à l’émancipation…

Mais il y a un cri de révolte, qui monte depuis un moment déjà de ces mêmes stades de football. Ce cri, c’est «Fi Bladi Dalmouni», que l’on peut traduire par «Dans mon pays, on ne m’a pas rendu justice». Ce cri de ralliement est parti des travées du complexe Mohammed V à Casablanca. On l’entend de plus en plus dans d’autres stades du royaume. Il est arrivé même sur les terrains de l’Algérie voisine.

Les jeunes dans les stades adoptent en force cette formule de «Fi Bladi…», qui n’appelle pas vraiment à la justice sociale et qui signifie au fond: «Rien ne va pour moi…à cause des autres». Le «pays», c’est les autres. C’est un discours de victimisation.

Mais attention, la formule «Fi Bladi…» peut aussi être lue comme un appel à la dignité. On aimerait beaucoup le croire. Parce que la dignité ce n’est pas offrir du travail, de l’argent et une maison, mais une éducation, un service public de qualité, et surtout du respect.

Elle est peut-être là cette expression politique qu’on suggérait plus haut dans le texte. Les jeunes qui fréquentent les stades, qui chantent du rap, ou qui «glandent» tous les jours au coin du derb, sont en train de politiser leur discours. Même si leurs tifos ne veulent rien dire pour le moment…

Un jour ou l’autre, il faudra tendre l’oreille pour les écouter.

Par Karim Boukhari
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