L'enfer du décor. Abdelmajid Dolmy: de "Douloumate" à la lumière

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Quelqu'un a dit un jour que lorsqu'un écrivain meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. On peut le paraphraser en disant, dans le cas de feu Dolmy, que quand un joueur meurt, c'est un stade qui brûle.

Le 27/07/2017 à 21h54, mis à jour le 28/07/2017 à 11h23

Abdelmajid Dolmy est mort. On n'en revient pas. On n'y croit pas. Pourtant, pour l'auteur de ces lignes, dont la sœur aînée est décédée et enterrée lundi dernier, la mort est on ne peut plus banale. Que non! La mort n'est jamais banale quand elle frappe un proche. De l'égoïsme, certes. Hélas, ainsi va la vie.

Lorsque Abdelhak Rizk Allah, alias Mendoza, a créé le tournoi Ahmed Antifit, en 1986, en hommage à cet ancien serviteur du football national, j'ai eu l'occasion de jouer contre Dolmy. Il faut dire qu'au sein du RAC, à l'époque, il y avait de grands joueurs. Mais l'idée de jouer contre “L'Maâlem“, “Le Meastro“, était déjà une véritable gageure, un rêve d'enfant. Un rêve tout court.

Il me souvient qu'en plein match, des joueurs de mon équipe, s'arrêtaient bouche bée pour admirer les gestes techniques de Dolmy. «Chouf à khouya kif kay dir l'koura» (regarde, mon frère, comme il apprivoise le ballon).

Lors d'une confrontation avec lui, l'arbitre Abderrahim Arjoun, alors à ses débuts, a sifflé un coup franc en sa faveur. Le Maestro répond: «Même s'il a commis une faute, j'avais mal géré la balle». La classe.

Abdelmajid Dolmy a rejoint la CLASS (Le club de la centrale laitière qui allait être absorbé par le Raja). Pour la modique somme de 400.000 dirhams. Le regretté Mehdi Faria s'était opposé à ce transfert. Il avait offert la moitié de cette somme pour que Dolmy reste au Raja. L'on s'interroge, aujourd'hui, pourquoi aucun responsable des Verts ne s’est manifesté pour que Dolmy reste au Raja.

Mais il n'y a pas eu que cette injustice commise à son endroit. Lors du premier anniversaire de la création de la deuxième chaîne 2M, il y avait comme une sorte d'“exclusivité“: Dolmy qui n'a jamais parlé à la presse, a accordé une interview aux journalistes de ladite chaîne.

Abdellatif Jebrou, alors brillant chroniqueur à Al Attihad Al Ichtiraki, s'est fendu d'un pamphlet qu'il avait intitulé «Dolmy brise une montagne de silence». Il s'en est pris aux journalistes de 2M et à Dolmy, suggérant qu'il est un artiste sur le terrain et que son talent suffisait...

En tant que journaliste, j'ai rencontré Dolmy. Fumeur invétéré (autant que moi), il m'avait conseillé d'arrêter de fumer. Mais a refusé de m'accorder une interview. Cela s’est produit dans une petite voiture qu'il venait de se procurer. C'était en 1993.

On passera outre le talent de Dolmy. Ce que les non-footeux ne savent pas est que, quand il était sur un champ de jeu, il n'y avait plus d'entraîneur. C'était lui l'entraîneur, le Maestro, L'Maâllem. Mais cela est une histoire connue de tous ses anciens collègues.

Je me rappelle un jour, j'étais à Rabat, chez mon cousin Abdellah Haidamou. L'immeuble où il habitait était réservé aux joueurs des FAR. Réunis dans l'appart de Haidamou, Lamriss raillait H'ssina en lui rappelant qu'un jour contre le Raja, Dolmy l'a driblé sur la ligne de touche, et qu'en se levant, le numéro de sa tenue a changé: au lieu d'un 3, c'est devenu "13".

Dolmy nous a quittés. Nous devrions avoir honte. Plusieurs fois, on a annoncé son jubilé. L'ancien ministre de la Jeunesse et des sports, Moncef Belkhayat, avait approché le défunt, lui suggérant 1 million de dirhams pour accepter qu'un match international se jouant à Tanger, soit son jubilé. Feu Dolmy a donné son accord de principe, étant dans le besoin. Mais sentant l'arnaque, il a refusé. Bien avant lui, d'anciens grands footballeurs avaient été arnaqués de la sorte, tel son ancien coéquipier au Raja, Abdellatif Beggar, mort dans les attentats du 16 mai 2003.

A chaque fois qu'on proposait à Dolmy l'organisation de son jubilé, il réprimait un sourire en coin. «Mon jubilé, c'est le Maroc qui doit me l'organiser. Et nulle autre personne», m'a-t-il confié après la “bêtise“ de Belkhayat.

Il a trop attendu, Dolmy. On l'appelait "Douloumate" pour les feintes, les dribbles, qu'il infligeait à ses adversaires.

Il part brusquement, brutalement, de façon complètement inattendue. Un peu comme un geste technique auquel personne ne s’attend. Nous avons tous été pris au dépourvu.

Pardon Dolmy.

Par Abdelkader El-Aine
Le 27/07/2017 à 21h54, mis à jour le 28/07/2017 à 11h23