le360sport: que pensez-vous du tweet de Donald Trump?
Pascal Boniface: c'est effectivement une grande première parce que jamais aucun pays candidat n'a fait une telle menace, et il n'est pas certain que ce ne soit pas contre-productif à terme. Ça ne peut que renforcer la vision du caractère répulsif qu'ont les États-Unis et Donald Trump. La personnalité de Trump, même s'il ne sera plus au pouvoir en 2026, est certainement un bon argument pour le Maroc.
Pourquoi?
Parce que beaucoup de fédérations ne voudront pas donner l'organisation de ce qui est une grande fête mondialisée qui réunit le monde entier, à un pays qui est jugé aussi agressif.
Selon vous, certains pays peuvent-ils être amenés à changer de position et voter pour United 2026?
Peut-être que des pays arabes comme l'Égypte ou l'Arabie Saoudite seront gênés aux entournures parce qu'ils sont très dépendants et très liés aux États-Unis. Trump leur met une pression maximum et il faudra voir si la solidarité arabe l'emporte sur les liens stratégiques. Ce genre de tweet aura quand même un effet déplorable, et peut contribuer à la montée de l'anti-américanisme.
D'autres pays pourraient retourner leurs vestes?
Les pays qui dépendent grandement des État-Unis pour leur sécurité. J'en vois deux principaux donc (Arabie Saoudite et Égypte). Peut-être aussi la Jordanie. Naturellement, ils auraient voté pour le Maroc. Il sera quand même très difficile pour ces pays de justifier leur vote. Car la candidature du Maroc a ceci de géopolitiquement intéressant: c'est un pays musulman mais modéré, qui a de bonnes relations avec les monarchies du Golfe. C'est une sorte de pont entre le monde musulman et le monde occidental.
Quand on exerce ce type de pression on ne le fait pas en public. C'est extrêmement maladroit de la part de Trump parce que si un pays venait à trahir l'impératif de solidarité inter-arabe, il donnerait l'impression d'avoir cédé aux menaces.
Comment expliquer l'entêtement de Donal Trump dans son utilisation des tweets agressifs?
Il ne connaît pas vraiment d'autre méthode. Il veut toujours passer en force et donner le sentiment que s'il tape du poing sur la table les résultats seront immédiats. Sauf que la diplomatie ne fonctionne plus comme ça et les relations internationales ont changé. Les États-Unis ont encore une place de n°1 mais ne sont plus le shérif du monde. Mais c'est la méthode Trump, qui pense que la politique de la force et de l'injonction envers les autres pays marche toujours, ce qui n'est plus le cas.
C'est donc une lourde erreur du président américain...
C'est tellement brutal que ça ne peut que susciter des réactions de rejet. Une candidature c'est un jeu de séduction. Lula (ancien président du Brésil) s'est déplacé pour obtenir le Mondial 2014. Nelson Mandela lui-même s'est déplacé pour que l'Afrique du Sud l'emporte (2010). Là, par un tweet comminatoire, Trump veut s'imposer aux fédérations. Je l'imagine mal se rendre au congrès de la FIFA le 13 juin à Moscou pour plaider la cause de la candidature américaine. Avec son tweet il donne l'impression d'exiger de ses colonies qu'elles obéissent aux ordres. C'est une vision très dépassée.
Comment voyez vous l'issue de cette course au Mondial 2026?
Les fédérations vont se déterminer en fonction de leurs critères et ce ne sont pas forcément les choix des gouvernements, même si souvent ça se rapproche. Aujourd'hui, il y a quand même un bloc de voix issues de l'Afrique et des pays arabes en faveur du Maroc. Pas mal d'Européens sont aussi sensibles à cette candidature. Et Donald Trump a fait perdre des voix à la candidature américaine.
Pascal Boniface est directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques