Algérie: les stades de foot, laboratoires politiques de la contestation

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Slogans percutants, chants politiques, et expérience de groupe: les manifestations en Algérie contre la prolongation du mandat du président Abdelaziz Bouteflika ont pris racines dans les stades de foot, rares espaces de liberté dans un pays verrouillé.

Le 15/03/2019 à 16h53

L'art du contre-pied jusqu'au bout. Un tifo contestataire géant était attendu, mais le stade du 5 Juillet (80.000 places) est finalement resté largement vide, jeudi, lors du derby d'Alger entre le MCA et l'USMA (3-2).

Du jamais-vu pour un match habitué aux ambiances incendiaires et qui déchaîne les passions depuis bien avant l'indépendance du pays!


“Comment jouer un derby quand le pays traverse une crise?”, était-il écrit sur un tract appelant à boycotter la rencontre, relayé sur les réseaux sociaux et placardé dans les rues de la capitale.

La raison? La crainte de violences qui pourraient discréditer la contestation contre le pouvoir en Algérie. “Il y a eu des rumeurs comme quoi des casseurs allaient venir”, a expliqué l'un des auteurs du tract, un “ultra” du MCA qui a requis l’anonymat.

Cela n'a toutefois pas empêché les quelques fans présents des deux clubs ennemis de chanter ensemble -fait rarissime- des slogans anti-Bouteflika lors des cinq dernières minutes de la rencontre.

Ou le groupe de supporter de l'USMA “Ouled el-Bahdja” (Les enfants d'Alger) d'entonner “La Casa del Mouradia” (siège de la présidence, NDLR), sa chanson phare devenue l'un des hymnes de l'actuelle contestation.

Plus qu'un simple "défouloir"

Comment pouvait-il en être autrement dans un pays où le ballon rond est capable de créer des émeutes lors d'une qualification pour la Coupe du monde, ou de déchirer des familles entières lors des derbies?


“Depuis les années 1970-80, le stade a toujours été un espace d'expression politique en Algérie, peut-être plus que dans les autres, où il pouvait y avoir plus de contrôles, de censures. C'est l'endroit où l'on peut défier l’“establishment”, déconstruire les tabous de la nation algérienne”, explique à l'AFP Mahfoud Amara, professeur de sciences sociales et de management du sport à l'Université du Qatar.

“Les supporters utilisent des méthodes de provocation, où la vulgarité peut avoir un sens politique. Vu qu'il n'y a pas de débat, on rejette l'ordre moral qui a été imposé par les institutions de l’Etat”, ajoute le chercheur algérien, auteur en 2012 d'une étude sur le sujet.

Un “défouloir” qui peut aussi créer des incidents diplomatiques, à l'image d'un tifo grimant en 2017 le roi Salmane d'Arabie saoudite et Donald Trump comme “les deux faces d'une même pièce”, ou sombrer dans la violence, parfois meurtrière, lors d'affrontements entre supporters ou contre les forces de l’ordre...

Mais depuis le 22 février, début d'une vague de manifestations contre un 5e mandat du président Abdelaziz Bouteflika, la violence brute a laissé place à l'humour et à la créativité, avec des pancartes pleines de métaphores footballistiques.

Avant-garde

“Ce n'est pas un match, non aux prolongations!”, “Peuple 3-0 Pouvoir”… Même certains joueurs du MCA ou de l'ASO Chlef se sont filmés la semaine dernière sur les réseaux sociaux en train d'entonner des slogans contre le 5e mandat, tandis que des membres de groupes “ultras” des différents clubs algérois ont manifesté main dans la main dans les rues de la capitale.

De quoi rappeler le phénomène “Istanbul United”, quand les groupes rivaux des clubs de Besiktas, Galatasaray et Fenerbahçe avaient participé ensemble aux manifestations place Taksim en 2013, ou l'alliance déterminantes des supporters cairotes d'Al-Ahly et de Zamalek dans le soulèvement contre Hosni Moubarak en 2011?

“Je ne sais pas si on peut faire le parallèle”, explique à l'AFP Maher Mezahi, journaliste spécialiste du football maghrébin. “C’est très commun de voir des supporters provenant de groupes différents, être côte à côte. Mais cela ne se produit qu'à l'échelle individuelle et non au nom du groupe en lui-même”.

A défaut d'avoir réellement apporté aux manifestants leur expertise en terme d'organisation, “les ultras algériens ont davantage donné un genre artistique aux forces d’expression”, complète Mahfoud Amara. “Ils ont contribué, un petit peu, à être la voix du peuple à un moment où il y avait une lassitude de la politique, admet le chercheur. Le stade a été pendant ce temps l'endroit où il y a eu cette continuité”.

Par Le360 (avec AFP)
Le 15/03/2019 à 16h53