On a beau critiquer les responsables du sport au Maroc pour l’indigence de la moisson sportive des Jeux olympiques 2024 et dire que la médaille d’or de Soufiane El Bekkali ne cache pas les insuffisances de la préparation des différentes fédérations, la victoire du champion des 3000 m steeple vient à point nommé pour calmer la sourde colère qui commençait à monter dans le public.
Personne ne pouvait accepter que la délégation marocaine revienne bredouille de Paris. Ce n’est ni conforme aux moyens mis à la disposition du sport ; ni à la place qu’occupe le sport comme activité et loisir, dans le cœur des marocains ; ni à la place acquise par le Maroc dans le concert des nations depuis que Aouita, El Guerrouj Nawal, et tant d’autres, ont commencé à glaner des médailles et des titres.
La victoire de Soufiane El Bekkali n’est pas une surprise en soi. Il domine cette compétition de la tête et des épaules depuis de longues années déjà. Sa longue blessure avait suscité un doute quant à sa capacité à réussir à conserver son titre. Il n’a repris les entrainements qu’en avril de cette année, un délai très court pour le niveau de performance exigé. Trois mois de préparations intensives, dont le souvenir l’a fait craquer lorsqu’il en a parlé lors d’une interview aux abords de la piste, ont sauvé sa saison.
Le 3000 m steeple était, jusqu’aux derniers Jeux de Tokyo, une spécialité kenyane. C’est Soufiane El Bekkali qui a mis fin à une domination écrasante et à une série impressionnante de victoires d’athlètes kenyans. C’était une chasse gardée du Kenya depuis 1984. C’est dire à quel point il était attendu. Il faut dire aussi qu’aucun athlète, avant lui, n’avait réussi à conserver son titre de champion olympique. Le champion kenyan Ezkiel Kemboi a bien remporté deux médailles d’or de la discipline, mais pas à la suite. Il avait remporté la médaille des Jeux d’Athènes de 2004 et 8 ans plus tard celle de Londres en 2012.
La pression sur le champion marocain était très forte, il était aussi le dernier espoir de médaille individuelle pour l’ensemble des Marocains, après les désillusions accumulées dans les autres concours. Une pression que l’on sentait grimper auprès du public jusqu’à en devenir insupportable. L’entourage du sport dispose aujourd’hui d’un relais incontournable, la puissance des réseaux sociaux, un moteur de toutes les colères et aussi de toutes les joies tant ces sentiments sont éphémères en sport.
On aurait pu prétendre à deux médailles sur cette course. Le jeune Mohamed Tindouft, un nom qui sonne comme un clin d’œil, avait tous les atouts pour une place au podium. Une course aux médailles nous aurait été fatale et probablement coûté la médaille d’or, la seule qui vaille. En effet, les adversaires de Soufiane El Bekkali avaient une stratégie d’enfermement pour le contrer, c’est le sacrifice de Mohamed Tindouft qui a empêché la réussite de cette organisation tactique.
En accélérant et prenant le lead, notre jeune champion savait qu’il n’avait plus aucune chance de médaille, il l’a fait pour libérer Soufiane du piège dans lequel il s’enfermait. Le chemin de la victoire de Soufiane passait obligatoirement par là.
Une victoire mille fois méritée doublée d’un sacrifice qui vaut toutes les médailles.
Honorons nos champions et dressons la liste des échecs et frustrations accumulés.
Personne ne doute de la bonne volonté de tous ceux qui s’emploient à faire réussir le sport, mais que voulez-vous, un échec est un échec. On ne comprendrait pas qu’il ne soit pas suivi de conséquences.
La médaille de Soufiane El Bekkali va sauver quelques têtes mais pas faire oublier la déception globale de Paris 2024. Le niveau d’exigence des Marocains ne peut souffrir d’un réajustement de curseur, il doit rester à un niveau très haut, condition indispensable pour aller plus haut, plus fort et plus loin.