Exclu360. Aziz Daouda analyse le fiasco du sport marocain aux JO Paris 2024

VidéoLes Jeux Olympiques de Paris 2024 se sont achevés, laissant derrière eux un goût amer pour le sport marocain. Avec seulement deux médailles remportées: une en or par Soufiane El Bakkali au 3000m steeple et une en bronze glanée par la sélection nationale de football. Le Maroc n'a pas réussi à briller comme il l'espérait sur la scène olympique. Aziz Daouda décrypte ce fiasco.

Le 17/08/2024 à 17h18, mis à jour le 18/08/2024 à 18h28

Aziz Daouda, expert en sport, fait le bilan des performances des athlètes marocains lors des Jeux Olympiques Paris 2024. Dans cet entretien exclusif, l'ancien directeur technique national de la Fédération royale marocaine d'athlétisme (FRMA) n'a pas mâché ses mots pour analyser les raisons de cet énième échec, les problématiques de gouvernance qui minent le sport national, le positionnement du Maroc dans le tableau des médailles et bien plus encore.

Lors de cet entretien, plusieurs questions cruciales ont été abordées, notamment les raisons derrière ces échecs répétés, la non-sollicitation des anciens champions marocains (El Guerrouj, Bidouane ou El Moutawakel) dans la gestion des institutions sportives... Daouda a également exprimé son opinion sur la comparaison du modèle de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) avec celui des autres fédérations sportives du pays.

Le360: Comment avez-vous trouvé le bilan des athlètes marocains lors des Jeux Olympiques de Paris 2024?

Aziz Daouda: «les résultats des sportifs marocains sont dans la continuité de ce que nous vivons depuis quelques années, c'est-à-dire un déclin qui est là, qui est aujourd'hui manifeste et constaté par le monde entier. Il est le résultat d'une incompréhension du domaine, peut-être même une méconnaissance du domaine, qui a fait qu'il y a eu, à un moment donné de notre histoire récente, des décisions qui ne devaient pas être prises dans le sens où elles l'ont été, et qui ont engendré justement cette défaillance. Et elles sont désastreuses aussi par rapport aux ambitions marocaines, du citoyen marocain d'aujourd'hui. Ce dernier est en train de constater les progrès réalisés par le Royaume dans moult domaines. Il n'y a pas un domaine où le Maroc n'a pas fait un bond extraordinaire. Il a triplé son PIB, il a construit des autoroutes, des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles, rebâti des villes, transformé son urbanisme. Nous avons fait un bon qualitatif de vie. C'est-à-dire que nous n'avons pratiquement plus quoi que ce soit à envier à une quelconque autre nation en matière de confort, de civilisation. Et à partir de là, bien évidemment que les doléances et les attentes des Marocains deviennent plus grandes. C'est pour ça qu'il y a eu aussi, peut-être, ce manque d'indulgence vis-à-vis de certains sportifs qui de toute façon ne sont que le résultat d'un système qui a montré ses limites».

Selon vous, quelles sont les raisons de ces énièmes échecs?

«Les Jeux Olympiques, c'est quoi? C'est là où les nations viennent exprimer leur talent, leur sérieux, leur puissance. Et donc, c'est toutes les jeunesses du monde qui vont, pendant deux semaines, concourir pour montrer que, justement, dans leur pays, ils sont une population de défis, avancée, qui travaille, qui est talentueuse. Et pour arriver à cela, il faut être performant. Et la performance sportive repose sur des fondamentaux et obéit à des règles, qui sont universelles. Il y a des fondamentaux qu'on ne peut pas transgresser. Une table à quatre pieds, si vous lui en enlevez un, elle s'écroule. Donc, vous avez des fondamentaux sur lesquels la performance sportive repose. Nous faisons fi de ces choses-là. Nous pensons qu'en mettant des budgets, qu'en faisant de beaux powerpoints, qu'en mettant une stratégie de je ne sais quoi, on va régler le problème. Mais nous ne l'avons jamais réglé. Parce que là, il s'agit de créativité, d'innovation et d'expression. Parce que la performance sportive, c'est aussi une expression culturelle. C'est par là que notre jeunesse va exprimer sa culture, ce qu'elle est et ce qu'elle veut représenter aussi comme idéal. Et malheureusement, la situation est telle que les nôtres n'ont pas pu s'exprimer comme il faut, à l'exception bien évidemment de l'équipe de football qui a réussi à le faire. Parce qu'aujourd'hui, et d'ailleurs Dieu merci, depuis que nous jouons comme des Marocains, et non plus en imitant qui que ce soit, nous sommes mieux, nous sommes beaucoup mieux. Et c'est ça qui fait le charme de notre football, et qui le rend aussi efficace qu'un autre football qui viendrait d'Espagne, d'Allemagne ou d'ailleurs, où les gens s'expriment aussi comme ils sont. C'est uniquement ça. Et donc c'est en transgressant certains fondamentaux que nous avons malheureusement failli, et que probablement cela a été d'une violence inédite. Parce qu'auparavant on vivait sur l'espoir. On vivait sur l'espoir que certains responsables nous promettaient à chaque fois des jours meilleurs plus tard. Malheureusement, les Jeux Olympiques de Paris ont montré que tout ça n'était qu'un leurre et même un mensonge».

Au niveau du tableau des médailles, le Maroc se classe derrière des pays à l'histoire sportive modeste. Qu'en pensez vous?

«Ce qui a fait mal aux Marocains, avant même le tableau, c'est de voir que certains de nos sportifs se faisaient éliminer au premier tour. Et des fois, rapidement. De voir que certains sportifs n'avaient pas la compétence. C'est-à-dire qu'ils n'étaient même pas capables de concourir. Et ils étaient là. Alors qu'on nous a fait avaler que nous allions être présents avec une délégation élargie, une délégation record, avec des sports auxquels nous n'avions même pas pensé auparavant, des sports nouveaux. Tout le monde, tout un chacun, pensait que les jeunes qui allaient nous représenter allaient être au niveau de la compétition. Pas pour gagner des médailles, mais juste être au niveau de la compétition. Alors là, on s'est rendu compte que, malheureusement, certains sportifs ne l'avaient pas, ni techniquement, ni physiquement. C'est ce qui a fait mal aux Marocains qui savent que dans ce pays il y a quand même des enfants talentueux qui peuvent travailler, dans un système qui se respecte, être performants au niveau mondial. Parce qu'ils l'ont déjà vécu par leur passé dans certains sports».

Pourquoi la majorité des fédérations sportives du pays sont dirigées par des personnes qui n'ont aucun rapport avec la discipline en question?

«Il y a eu une mode à un moment donné, et je parle bien de mode, où on pensait qu'en mettant à la tête des fédérations certaines personnalités du monde économique ou politique, cela allait régler les problèmes des fédérations. Il s'avère que cette stratégie n'a pas été payante».

A votre avis, pourquoi les anciens champions marocains comme El Guerrouj, Bidouane ou El Moutawakil ne sont pas suffisamment sollicités pour diriger les grandes institutions sportives?

«Ils ne sont pas du tout sollicités. C'est quelque chose que nous traînons depuis très longtemps, bien avant cette époque. On a toujours considéré les sportifs comme des mineurs, qu'il faut mettre sous tutelle. Et c'est comme ça, depuis carrément l'indépendance du Maroc. À l'exception de Nawal El Moutawkil, combien de sportifs on a eu à la tête du ministère? Au niveau des fédérations, c'est la même chose depuis très longtemps. On a toujours considéré que le sportif n'est fait que pour courir, pour jouer, pour boxer, mais pas pour diriger. Et on les a considérés comme des mineurs, et on continue à les considérer comme tel. Alors qu'ailleurs, si vous parlez des Jeux de Paris, qui était le grand directeur des Jeux de Paris? Tony Estanguet, médaillé olympique. Qui était le directeur des Jeux olympiques de Londres? Sébastien Coe, médaillé olympique. Qui est le président du CIO? Un médaillé olympique. Je pense qu'évidemment, tous les sportifs ne sont pas en mesure, ou capables de passer d'un extrême à un autre. Mais il y a quand même certains sportifs qui ont une vision, de par leur vécu, une expérience. Il faut commencer à leur faire confiance».

La loi 30-09 serait-elle derrière tous les maux du sport marocain?


 


«La loi 30-09 est une catastrophe. Cela fait 20 ans que je demande à ce qu'on la change. Non pas l'amender, mais carrément la détruire et venir avec un autre concept. Une loi où vous avez plus de pénal que d'incitation, alors que nous sommes dans un domaine culturel, c'est quand même étonnant. Nous étions quelques-uns à dire que ça ne pouvait pas marcher et l'expérience est en train de prouver qu'on avait raison, et que si on nous avait écouté, peut-être que les choses auraient été meilleures. Le sport, ce n'est pas uniquement cette expression de la performance que nous voyons. C'est la cerise sur le gâteau. C'est l'aboutissement d'un système. Si on avait défini les concepts correctement, si on le faisait, déjà aujourd'hui pour demain, on définirait mieux les responsabilités. Aujourd'hui, les fédérations peuvent rejeter la responsabilité sur l'État. Tout bonnement. Et elles ont raison de le faire. Je vous donne un exemple, un argument en faveur des fédérations. Les saisons sportives commencent fin octobre, début novembre. Certains commencent même avant comme le football. Disons que fin octobre, pratiquement tous les sports sont en marche. La loi de finances du pays est votée fin décembre. Elle est mise en fonction à partir du mois de mars. Certaines fédérations ne reçoivent leur subvention qu'en juillet. Comment gérer une fédération alors que vous manquez de ressources entre octobre et juillet?»

Le sport scolaire peut être une solution...

«Nous ne définissons pas ce qu'est le sport scolaire. Nous faisons toujours la confusion entre sport scolaire et éducation physique. L'éducation physique, c'est une matière essentielle qui se porte mal au Maroc. Nous ne formons plus convenablement des professeurs d'éducation physique comme on le faisait par le passé. Nos enfants manquent d'éducation physique».

Le CNOM ne devrait-il pas avoir plus d'autorité sur les fédérations sportives?

«Alors ça, je ne sais pas. Parce que le seul modèle où le Comité National Olympique, a une autorité sur l'ensemble des sports, c'est l'Italie. Ça n'existe nulle part ailleurs. Mais est-ce qu'il faut suivre cette voie-là ou pas, je n'en sais rien. Mais avant de parler de telle ou telle institution, il faut s'asseoir. Non pas en conclave de 600 personnes qui vont chacune chanter à sa façon, mais qu'on fasse appel à quelques personnes pour travailler d'abord sur une loi fondamentale. Avec des concepts. Et avec les politiques et les législateurs pour se mettre d'accord sur la configuration qu'on entend du sport. Et à partir de là, une loi fondamentale, des textes particuliers, pas pour chacune des disciplines sportives, mais au moins pour chacun des compartiments, pour définir les métiers. Aujourd'hui, certains métiers ne sont pas définis. La loi dit que, par exemple, nul n'a le droit de pratiquer ou d'enseigner l'éducation physique, l'exercice physique, l'entraînement, sans qualification. Mais ce n'est pas une définition, c'est juste une contrainte. Qui a le droit de former les cadres aujourd'hui? L'État s'est débiné de ça. Les fédérations se sont accaparées ce créneau. Les fédérations n'ont pas vocation à former des cadres. Les fédérations peuvent qualifier des cadres. Parce que l'entraîneur qualifié, l'entraîneur de haut niveau, celui qui peut nous amener à un très haut niveau, est quelqu'un qui a été formé de manière académique, dans des universités, avec beaucoup de physiologie, beaucoup de physique, beaucoup de mécanique, tout ce qui fait partie des connaissances que doit avoir un entraîneur. À partir de là, s'il se destine à une discipline donnée, il peut acquérir une spécialité et peut-être être qualifié par une fédération».

Les autres fédérations doivent-elles prendre comme exemple la FRMF?

«Je ne sais pas pourquoi cette question n'avait pas été posée quand l'athlétisme marocain avait mis sur pied un système qui a marché, qui a fait du Maroc l'une des premières puissances au monde. Mais à l'époque, personne ne voulait copier le système de l'athlétisme. C'est celui qui est aujourd'hui instauré au football, c'est-à-dire celui des académies, des centres de formation. Pourquoi l'athlétisme marocain s'est métamorphosé, pourquoi il a connu des moments de gloire? C'est parce qu'à un moment donné, nous avions créé l'École nationale d'athlétisme, qui est devenu l'Institut national d'athlétisme. C'est là, dans cet établissement, que les athlètes se sont épanouis, qu'ils ont travaillé, qu'ils se sont préparés. Il y a deux systèmes classiques de formation de sportifs. Il y a le système américain, celui des universités, des collèges, mais qui ne marche qu'aux États-Unis. Ça ne marche nulle part ailleurs. Il n'y a pas un autre pays au monde où il y a autant de flexibilité dans les universités pour permettre à des jeunes d'être sportifs et d'être étudiants en même temps, d'être musiciens et d'être étudiants en même temps, d'être mécaniciens et d'être étudiants en même temps. Ça ne se passe qu'aux États-Unis. Malheureusement, le monde entier n'a pas réussi à engendrer des systèmes qui seraient aussi efficaces. Donc, on peut l'oublier. Parce que, dans un avenir proche, je ne vois pas des universités marocaines ou des lycées marocains former des sportifs de très haut niveau. Ils n'ont ni la capacité, ni les moyens. Le deuxième système qui a prouvé aussi son efficacité, c'est celui de grandes associations, de grands clubs. C'est le système européen. Mais ces grands clubs ont derrière des municipalités, des collectivités locales ou des entreprises, ou les deux à la fois, plus la télévision, qui les enrichissent et qui leur donnent le moyen matériel et donc le moyen de recruter des experts, d'avoir de l'infrastructure. Et donc, ils deviennent capables de former des sportifs de très haut niveau. Les fédérations nationales ne faisant que sélectionner les meilleurs. Si nous regardons la structure et l'architecture de nos clubs, aucun d'eux n'est capable de former quoi que ce soit».

Le Maroc est-il un pays de sport ou de sportifs et d'exploits sportifs?

«Très difficile de répondre à cette question. D'exploits sportifs, oui. Parce que depuis la nuit des temps, c'est-à-dire depuis les temps modernes, on a toujours eu des sportifs de très haut niveau. Il faut se rappeler qu'à notre première participation aux Jeux Olympiques, on était présents dans pas mal de disciplines sportives, aucun ne s'était fait éliminer au premier tour, on était présents en gymnastique, en boxe, en lutte, en escrime, et aucun des sportifs n'était ridicule, comparativement à ce qui s'est passé malheureusement à Paris. Et à la première édition, on a eu une médaille olympique. Par la suite, qu'est-ce qui s'est passé véritablement? C'est par manque de moyens. Beaucoup plus par manque de moyens, on n'en avait pas (...) Et chemin faisant, nous avons travaillé et on est revenu au niveau le plus élevé avec les médailles de 1984. Et donc ça a été un déclenchement. Les médailles de 1984 ne sont pas un hasard. Le Maroc, à la fin des années 70, avait décidé d'organiser les Jeux méditerranéens. Ce qui nous a permis de former une génération d'athlètes. C'était motivant, on avait mis quelques moyens, parce qu'on commençait à en avoir, pas autant qu'aujourd'hui, malheureusement, parce que si on avait les moyens d'aujourd'hui, peut-être qu'on aurait fait encore mieux. Et donc à partir de là, on a toujours figuré sur le tableau des médailles olympiques».

Un dernier message pour les dirigeants du sport au Maroc.

«Je les plains et m'estime heureux de ne pas faire partie de ceux qui dirigent aujourd'hui. D'ailleurs, j'ai subi aussi dans le temps des critiques, alors que les résultats étaient meilleurs. Mais bon, c'est pas grave».

Merci au Fairmont La Marina Rabat Salé Hotel & Residences.

Le 17/08/2024 à 17h18, mis à jour le 18/08/2024 à 18h28