Pour la deuxième fois consécutive, la sélection féminine de football du Maroc s’est inclinée en finale de la Coupe d’Afrique des Nations, compétition pourtant organisée à domicile à chaque fois. Cette seconde défaite, concédée face au Nigeria après un précédent revers contre l’Afrique du Sud, ne passe pas. Elle ravive chez les supporters une profonde frustration et suscite des débats nourris dans tout le pays. Car ce nouvel échec met en lumière des enjeux complexes, bien au-delà du rectangle vert.
L’entame de la finale a pourtant frôlé la perfection. Portées par un jeu chatoyant et une discipline tactique admirable, les Marocaines ont mené 2-0 à la mi-temps, face à des Nigérianes dépassées, presque méconnaissables. Mais l’espoir s’est effondré en seconde période. Les Lionnes se sont fait rattraper, puis dépasser, laissant filer un sacre qui semblait à portée.
L’engouement populaire suscité par leur parcours contraste brutalement avec l’amertume du résultat final. Pour beaucoup, cette défaite n’est pas simplement due à la malchance. Des voix expertes comme anonymes avancent des explications multiples, nourrissant un débat passionné.
Le choix tactique de l’entraîneur est particulièrement pointé du doigt. Nombreux sont ceux qui estiment que la seconde période a révélé un manque criant d’inspiration et de réactivité. Les remplacements tardifs, mal ajustés, n’ont pas permis d’inverser la dynamique. Ces décisions techniques, bien qu’elles ne soient pas les seules responsables, ont déclenché une vague de critiques sur la gestion du banc et l’incapacité à s’adapter aux soubresauts du match.
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Autre point soulevé: la moyenne d’âge de l’effectif, estimée à 31 ans. Un chiffre élevé, qui, sans des qualités physiques, techniques et mentales exceptionnelles, rend difficile la gestion de 90 minutes à haute intensité, surtout après une demi-finale éprouvante conclue par des tirs au but. Certains observateurs évoquent aussi une gestion émotionnelle du groupe: des convocations motivées davantage par des considérations affectives que sportives, ou encore des joueuses placées à des postes inhabituels. Le tout alimentant l’idée d’un encadrement technique en décalage avec les exigences du haut niveau.
À ces aspects s’ajoute la question cruciale de la condition physique. Plusieurs analystes dénoncent une préparation insuffisante, illustrée par une baisse d’intensité et de lucidité dans les moments clés. Face à une équipe nigériane redoutée pour sa puissance athlétique et sa constance sur 90 minutes, ce déficit s’est avéré fatal. En réalité, la condition physique se construit au quotidien, en club, sur la durée. Le travail en sélection, souvent limité à des stages courts, ne permet guère plus qu’un simple entretien. Et parfois, même pas cela.
Mais la lecture de cette défaite ne se limite pas aux terrains d’entraînement. Tout au long du tournoi, un sentiment d’injustice arbitrale a habité les Marocaines. Certains parlent même de «vol». Le penalty sifflé puis annulé lors de la finale, sans explication claire, n’a fait qu’accentuer cette impression. Voulait-on à tout prix offrir un dixième titre au Nigeria?
Sur les réseaux sociaux, véritable caisse de résonance des émotions populaires, la réaction a été immédiate. Les critiques fusent à l’encontre de la Fédération et de son président. Certains internautes déplorent une autorité défaillante, incapable de peser même sur ses terres, tandis que d’autres reprochent une gestion éloignée des attentes d’un public désormais habitué à l’excellence.
Le débat se polarise. D’un côté, des voix exigent des comptes, des changements profonds, rappelant que c’est le même entraîneur qui a manqué la qualification aux Jeux olympiques face à la Zambie. De l’autre, des défenseurs du staff en place soulignent le chemin parcouru, appellent à la stabilité, et rappellent que le Nigeria reste une puissance historique du continent, forte de dix sacres africains et d’un quart de finale en Coupe du monde.
Il est indéniable que la Fédération royale marocaine de football a réussi à imposer le football féminin sur la carte continentale, alors qu’il était encore embryonnaire il y a peu. Mais entre rêve et consécration, le chemin reste semé d’embûches.
Dès à présent, il apparaît urgent de tirer les enseignements nécessaires, sur les plans technique, physique et structurel. Le Maroc accueillera à nouveau la CAN prochainement, dans une nouvelle formule qui sera qualificative pour la Coupe du monde 2027 au Brésil. Va-t-on conserver le même staff? Peut-on viser les sommets avec un effectif à la moyenne d’âge aussi élevée, incapable d’enchaîner sept matchs à haute intensité?
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Il est aussi peut-être temps de réévaluer le modèle de développement actuel. Le football féminin marocain bénéficie d’un soutien fédéral conséquent, avec un budget estimé à 1,2 million de dirhams par club. Un effort colossal. Mais les clubs jouent-ils leur rôle? Cet investissement est-il efficacement exploité? Le rendement national reste-t-il en phase avec les moyens engagés?
Les priorités sont claires: renforcer la détection, améliorer la préparation physique, élargir le vivier professionnel et hausser le niveau de la Botola féminine. En parallèle, un travail de communication et d’écoute avec les supporters s’impose, pour restaurer la confiance et mobiliser autour des prochaines échéances.
Le message de Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, adressé à l’équipe, mérite une lecture à double niveau. Il salue un parcours méritoire, mais il sonne aussi comme un avertissement: les attentes sont grandes. Le Maroc, qui s’apprête à accueillir plusieurs compétitions majeures, doit être prêt.
Le football féminin marocain est à un tournant. Entre fierté du chemin parcouru et urgence d’élever le niveau, le défi est immense. Mais le sport n’est-il pas, par essence, une histoire de chutes et de rebonds? À condition que la frustration d’aujourd’hui devienne le levier de la réussite de demain.
