Les championnats du monde d’athlétisme, qui se déroulent depuis quelques jours à Tokyo, constituent comme prévu une occasion pour l’opinion publique et la presse de souligner la faiblesse chronique et décevante d’une discipline qui, naguère, incarnait un élément de fierté nationale. Si ce n’était que le cas de l’athlétisme, on pourrait imputer ce constat uniquement à une mauvaise gestion. Mais le fait est là: y a-t-il une seule discipline sportive où les résultats soient à la hauteur des investissements et des budgets consentis ? Il n’y en a quasiment pas, à l’exception du football. Souvenons-nous des résultats et du niveau décevant de certains sportifs marocains aux Jeux olympiques de Paris, il n’y a pas si longtemps.
Attention, ce constat ne cherche pas à trouver une excuse pour la médiocrité de nos résultats en athlétisme, ni à défendre les dirigeants dont la présence pèse depuis trop longtemps.
Ces résultats révoltants tombent à point nommé avec la rentrée politique. Il ne serait pas inutile, dans ce contexte, de reparler du sport en général, et pourquoi pas de soulever la vraie question, celle sur laquelle peu s’attardent, celle qui détermine le cadre général de l’évolution du secteur.
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L’année dernière, une commission parlementaire a été créée pour examiner la question du sport, suite aux résultats de Paris. J’ai eu le privilège d’y participer et d’entendre aussi bien des députés que des acteurs du secteur, certains plus ou moins avertis. J’avais alors insisté sur la faiblesse et les incohérences du cadre juridique et réglementaire de notre sport. Mais, comme souvent avec ces commissions, rien de concret n’a suivi. Or, le sport n’est pas un simple divertissement ou une activité marginale sans impact. C’est un outil d’éducation, de cohésion sociale, de santé publique, et de rayonnement international, sans oublier ses retombées économiques certaines. Il mérite un cadre juridique à la hauteur de ces enjeux, un cadre incitatif et encourageant.
Alors que bon nombre de spécialistes s’attardent sur des aspects de gestion et de gouvernance pour expliquer la dérive, rares sont ceux qui remontent plus loin, c’est-à-dire à la loi qui encadre l’activité.
Promulguée en 2009, la loi 30.09 sur l’éducation physique et le sport devait incarner cette ambition pour un avenir meilleur. Il n’en fut rien. Présentée comme un tournant, elle s’est vite révélée un carcan, inadapté aux mutations démographiques rapides, aux besoins d’une jeunesse avide de reconnaissance, à ceux d’une société en métamorphose certaine, à l’évolution du sport mondial et à sa professionnalisation, aux nouvelles formes de gouvernance, à l’explosion des droits télévisés, et à la montée en puissance de l’économie sportive.
À la nomination de Rachid Talbi Alami, il avait été question dès les premiers jours de réviser cette loi. Mais vite, il a été happé par la préparation et la gestion des Jeux Africains. Il n’en fut rien. À ce jour, la loi reste figée dans le temps, et le silence est total.
Certains pseudo-spécialistes, éloignés des réalités du terrain sportif ou ne connaissant le sport que par le spectacle, diffusent que le problème n’est pas dans la loi, mais dans son application. Que dire de mieux, si ce n’est qu’ils sont déconnectés des réalités.
Deux moments auraient dû entraîner la révision de cette fameuse loi: d’abord la lettre royale de 2008 adressée aux Assises nationales du sport. Il faut préciser que, bien que promulguée en 2009, le projet de loi lui, est antérieure aux assises qui appelaient à une refondation du sport national. Ensuite, l’occasion a été ratée à la promulgation de la Constitution de 2011 qui fait du sport un droit fondamental et une responsabilité de l’État. Aucune réforme n’a suivi.
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En conséquence, nous sommes en présence d’un texte dépassé, peu inspiré, peu incitatif, mal articulé avec les normes internationales; un texte qui n’a pas su définir clairement les concepts ni répartir distinctement les responsabilités entre ministères, fédérations, ligues, associations, comité olympique et paralympique.
Cette immobilité arrange certains acteurs qui profitent du cadre flou, tout en laissant les autres dans l’ignorance de ses conséquences. Le texte n’encourage ni l’investissement, ni la transparence, ni la gouvernance démocratique, ni n’assure une gestion saine ou encore la protection des sportifs, notamment en matière de couverture sociale, de prévention des violences, ou encore de safeguarding.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et le résultat est accablant: à peine 350.000 licenciés toutes disciplines confondues, dans un pays de 36 millions d’habitants dont plus de la moitié a moins de 30 ans. Le potentiel est immense, mais malheureusement sous-exploité. Les performances internationales, malgré quelques réussites, restent fragiles au regard des moyens investis.
Le sport marocain souffre d’un manque de structuration, freinant l’accès des jeunes et bloquant toute politique ambitieuse. C’est en fait une vision trop étroite du sport.
Limiter le sport aux résultats du football professionnel ou à quelques médailles olympiques est une erreur stratégique. Le sport est aussi un enjeu de santé publique, de citoyenneté et de prévention sociale. En laissant les infrastructures se dégrader ou sous-utilisées, et en bloquant toute évolution législative, le Maroc prend le risque d’aggraver des fractures sociales et territoriales déjà profondes.
Le courage politique est la seule voie si l’on souhaite sortir de cette ornière. Le Maroc ne peut plus se contenter d’une loi d’un autre âge, conçue sans inspiration ni compétences spécialisées.
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La réforme doit être profonde et porter sur plusieurs axes, avec une loi-cadre complète, aussi précise que possible et qui :
- définit clairement les concepts de sport, de sportif, et d’activité physique,
- clarifie les rôles des différents acteurs publics et privés,
- renforce la gouvernance démocratique des fédérations, ligues, et clubs sportifs,
- garantit une protection sociale et médicale véritable pour les sportifs,
- élargit l’accès au sport, notamment pour la jeunesse et les zones rurales,
- rétablit la formation des cadres de l’éducation physique avec des normes et cursus de qualité,
- redonne à l’éducation physique sa véritable importance dans le milieu scolaire, y compris au primaire,
- intègre les nouvelles pratiques sportives et les exigences environnementales.
Seule une démarche audacieuse, inclusive et transparente permettra de libérer le potentiel sportif du Maroc et de respecter la promesse constitutionnelle : faire du sport un droit universel et un véritable levier de développement.
C’est la condition sine qua non pour que, lors des prochains rendez-vous mondiaux, on ne vive plus de déconvenues, et que des millions de Marocains puissent pratiquer convenablement le sport.
Quant aux résultats de l’athlétisme, pouvait-on espérer mieux?







