Le Maroc aux JO: l’obsession des podiums et l’oubli du projet

DR

ChroniqueUn an après les Jeux Olympiques de Paris 2024, et à trois de ceux de Los Angeles 2028, l’heure est à la réflexion. Si le Maroc a brillé par éclats grâce à El Bakkali et à l’équipe olympique de football, son système sportif reste fragile, dépendant de talents isolés et miné par l’absence de stratégie. Plus que jamais, il faut passer du symbole à la construction, de l’émotion à la performance durable.

Le 29/07/2025 à 09h55

Un an déjà. Un an depuis les Jeux Olympiques de Paris 2024, où le Maroc a renoué avec la médaille d’or grâce à Soufiane El Bakkali et décroché un inédit bronze collectif avec la sélection olympique de football. Deux moments d’émotion pure, deux médailles pleines de symbole. Mais que reste-t-il une fois que les projecteurs s’éteignent, que les hymnes se taisent, que les drapeaux redescendent?

Derrière le vernis de la célébration, c’est une autre réalité qui s’impose: celle d’un système sportif national encore bancal, dépendant de quelques individualités et dépourvu de vision stratégique. À quatre ans des Jeux de Los Angeles 2028, le Maroc ne peut plus se contenter de vivoter d’olympiade en olympiade. Il est temps de passer d’un cycle d’émotion à une culture de performance.

Depuis Rome 1960, le Maroc a participé à quinze éditions des Jeux Olympiques. Le palmarès officiel affiche 26 médailles. Cela pourrait paraître honorable, mais ce chiffre mérite d’être décortiqué. Vingt-et-une de ces médailles proviennent de l’athlétisme. Quatre en boxe. Une seule en football. Les autres disciplines, pourtant présentes à répétition, affichent un zéro pointé.

Plus révélateur encore: quatre athlètes seulement (Hicham El Guerrouj, Saïd Aouita, Hasna Benhassi et Soufiane El Bakkali) concentrent à eux seuls neuf médailles, soit plus du tiers du total marocain. Sans eux, c’est le néant ou presque. Cette hyper-dépendance au talent individuel, non encadré dans une dynamique de groupe, trahit l’absence d’un modèle fédérateur.

À Paris, El Bakkali a confirmé sa domination sur le 3000 m steeple. Un exploit dans la continuité de Tokyo 2020. Il court seul, loin devant, avec rigueur et maîtrise. Le bronze de l’équipe U23 de football a été arraché avec panache. Une première historique pour ce sport qui, malgré sa popularité, n’avait jamais brillé à ce niveau.

Mais à part ces deux performances, qu’a-t-on vu? Beaucoup de présences discrètes, des éliminations précoces, des sportifs livrés à eux-mêmes, ou presque. Le grand public ne connaît ni leurs noms, ni leurs disciplines. Et pour cause: aucune narration, aucune stratégie de valorisation, encore moins de résultats.

On célèbre souvent la régularité du Maroc aux JO. C’est vrai, l’athlétisme est fidèle à chaque édition. Mais participer n’est pas une fin en soi. Cela coûte cher. Très cher. En termes de moyens, de logistique, d’image. Participer à Los Angeles 2028 doit répondre à une logique. Il ne s’agit pas d’envoyer des délégations pour honorer le drapeau. Il s’agit de performer, ou au minimum, de progresser.

Aujourd’hui, plusieurs fédérations sportives marocaines participent à toutes les éditions sans jamais ramener la moindre médaille. Judo, natation, cyclisme, taekwondo, lutte… autant de disciplines où les drapeaux marocains flottent lors des cérémonies d’ouverture, mais jamais sur les podiums. Pourquoi continuer à injecter des moyens publics sans aucun cadre de résultats?

Le vrai problème ne réside pas dans l’échec sportif. Il est ailleurs: dans le vide organisationnel. À l’heure actuelle, aucune fédération n’est tenue de publier ses objectifs pour les JO. Aucune feuille de route publique. Aucun engagement chiffré. Aucun contrat de performance conditionnant l’accès aux subventions. On avance dans l’opacité, et l’échec se dilue dans la masse.

Le ministère de tutelle, comme le Comité national olympique marocain, devrait imposer un cadre clair: un projet quadriennal, un plan de préparation, des indicateurs intermédiaires, et des objectifs réalistes (qualifier un athlète, atteindre un quart de finale, viser un podium…). Aujourd’hui, tout cela manque. Résultat: la frustration du public est déconnectée de la réalité de terrain. On attend des médailles là où il n’y a même pas de plan.

Le Maroc ne manque pas de potentiel. Le sport est ancré dans la culture populaire. Mais ce potentiel reste sous-exploité, faute de chaîne structurée. La détection reste aléatoire. Les centres de formation sont inégaux. L’encadrement technique manque de stabilité. Et surtout, les passerelles entre sport scolaire, sport civil et sport de haut niveau sont trop faibles, voire inexistantes.

Un pays qui vise des résultats olympiques doit bâtir un écosystème. Cela implique des infrastructures de proximité et de haut niveau, un encadrement médical et psychologique professionnel, une politique de détection dans les écoles, les universités, les clubs, et un accompagnement sur le long terme, avec des budgets pluriannuels et une vraie vision.

Le prochain rendez-vous, c’est Los Angeles. Une olympiade qui s’annonce relevée, médiatique, et très technologique. Le Maroc a trois ans. Pas plus. Trois ans pour arrêter de gérer au jour le jour. Trois ans pour redéfinir un modèle sportif ambitieux, réaliste et inclusif. Trois ans pour sortir du réflexe «médailles ou scandale», et entrer dans une logique de progression continue.

Cela commence dès maintenant: planification, suivi, transparence, responsabilisation. Il est temps que chaque fédération définisse clairement ses objectifs pour LA 2028. Pas seulement pour rassurer l’opinion, mais pour s’engager publiquement.

Et surtout, il est temps d’assumer que certains sports ne doivent peut-être pas participer, s’ils ne sont ni prêts, ni structurés, ni performants. Le respect du drapeau ne passe pas uniquement par la présence. Il passe aussi par l’exigence.

Les Jeux Olympiques ne sont pas une fin. Ils sont un miroir. Ils révèlent le niveau réel d’un pays, pas seulement en sport, mais en organisation, en gouvernance, en vision. En un mot: en sérieux.

Le Maroc a déjà prouvé qu’il pouvait gagner. Mais pour gagner durablement, il faut revoir toute la copie. Construire, structurer, évaluer. Et oser dire les choses.

Le temps des déclarations est terminé. Los Angeles 2028 commence maintenant.

Par Abdellatif Chourafi
Le 29/07/2025 à 09h55