CAN tous les quatre ans: No pasarán!

Cérémonie d'ouverture de la CAN 2025

ChroniquePour les Africains, c’est une bombe méphitique. Pour les Européens, surtout, un cadeau de Noël inespéré.

Le 30/12/2025 à 11h17

Pour ce qui est d’un événement, c’en est bien un. Et de taille. Un de ceux qui surprennent jusque dans les rangs de ceux-là mêmes qui le murmuraient, le souhaitaient, le réclamaient à voix plus ou moins feutrée.

Ainsi, le président de la Confédération africaine de football (CAF), Patrice Motsepe, a annoncé, samedi 20 décembre à Rabat, que la Coupe d’Afrique des Nations se tiendrait désormais tous les quatre ans, au lieu de deux, à partir de 2028.

Selon le patron de l’instance faîtière du football africain, cette décision viserait «une meilleure adaptation du calendrier africain aux exigences et aux fenêtres internationales de la FIFA». Une annonce accompagnée d’une autre promesse, destinée à faire saliver les fédérations africaines: l’augmentation du prize-money, appelé à passer de 7 à 10 millions de dollars.

Dans la foulée, Patrice Motsepe a également évoqué la création d’une Ligue des nations africaines, copie assumée, et sans doute pâle, de la Ligue des nations de l’UEFA, instaurée en 2018 et qui, elle-même, est loin de faire l’unanimité.

Reste une question centrale, et elle est lourde de sens: cette décision a-t-elle fait l’objet de consultations avec les associations membres de la CAF? A-t-elle donné lieu à de véritables débats internes, à des échanges contradictoires mesurant les avantages et les risques d’un tel bouleversement? Rien ne permet de l’affirmer. Car si tel avait été le cas, la CAF se serait empressée de le faire savoir, elle qui ne manque jamais d’ériger en «grandes réalisations» ce qui relève parfois du simple fonctionnement institutionnel. À défaut, des indiscrétions auraient fini par filtrer.

D’autant plus que la presse internationale a été prise de court. Une surprise qui n’en est finalement pas une, tant le président de la FIFA, Gianni Infantino, avait préparé le terrain quelques jours auparavant, estimant qu’une CAN tous les quatre ans serait «plus viable et plus attrayante sur le plan commercial».

On le sait, et ce n’est pas un euphémisme: la CAN quadriennale est depuis longtemps une obsession des dirigeants de la FIFA. Pour les Européens, dont les clubs voient un hiver sur deux leurs joueurs africains quitter les compétitions domestiques pour rejoindre leurs sélections, c’était un vieux rêve. Le voilà aujourd’hui exaucé.

Or, contrairement à la Coupe du monde ou au Championnat d’Europe, la Coupe d’Afrique des Nations organisée tous les deux ans présente un avantage fondamental: elle permet une rotation rapide entre les pays du continent. À peine une édition achevée que la suivante se profile déjà, plaçant les futurs hôtes sous pression permanente. Une pression salutaire, qui oblige à investir, à rénover, à construire des stades, à améliorer les infrastructures et, plus largement, à moderniser l’environnement sportif.

Au-delà de l’aspect structurel, la CAN est aussi – et surtout – une immense fête populaire. Un moment de liesse, de communion et de respiration pour des millions d’Africains, dans un continent où le football demeure souvent l’un des rares remèdes à un quotidien trop souvent gris.

La CAN gagnerait donc à rester fidèle à son ADN, à ce rythme biennal qui l’accompagne depuis sa création en 1957. Mieux encore, elle pourrait se tenir en été, afin de mieux prendre en compte les contraintes des clubs employeurs des joueurs africains en Europe, sans pour autant sacrifier l’essence même de la compétition.

Mais de là à l’offrir sur un plateau d’argent aux exigences de la FIFA, il n’y a qu’un pas. Un pas que la CAF risquerait de franchir au prix du ridicule, en actant une profonde injustice à l’encontre de tout un continent.

Patrice Motsepe et Gianni Infantino ne sont pas éternels. Ils quitteront un jour ou l’autre la scène. Mais leurs héritages, eux, resteront. Et l’Histoire jugera leurs décisions, distinguant les actes fondateurs des choix malheureux. Comme elle l’a déjà fait pour leurs prédécesseurs qui ont «vendu» le sport le plus populaire au monde aux plus offrants.

Quant à l’entérinement réel de cette décision, il est permis d’en douter. Tout porte à croire qu’elle ne fait pas l’unanimité au sein du football africain. Elle pourrait même engendrer de profondes dissensions au sein de la CAF, voire précipiter la chute de ses initiateurs. Un scénario loin d’être improbable. Et, à vrai dire, inquiétant.

Par Abdelkader El-Aine
Le 30/12/2025 à 11h17