Derbies en série: le bruit, l'Irlande et la fracture à Glasgow

Les écharpes brandies par les supporters du Celtic à Glasgow le 23 décembre 2016.

Les écharpes brandies par les supporters du Celtic à Glasgow le 23 décembre 2016.. DR

Le bruit et la fureur: le derby entre le Celtic et les Rangers, dont la 404e édition est prévue samedi à Glasgow, est l'un des plus intenses d'Europe et reflète la violence d'une ville coupée en deux... par l'histoire irlandaise.

Le 31/12/2016 à 16h29, mis à jour le 31/12/2016 à 16h52

Un mur de son. Le "Old Firm", qu'il soit disputé au Celtic Park ou à l'Ibrox Stadium, c'est d'abord un grondement assourdissant généré par plus de 50.000 spectateurs chauffés à blanc.

"Le bruit et la passion, il n'y a rien qui y ressemble. J'ai eu la chance de voir des derbies partout dans le monde et rien ne s'en approche. Quand vous sortez du tunnel, le niveau sonore est bien plus important que lors d'une finale, ça vous cogne", expliquait l'ancien Ranger Sandy Jardine, aujourd'hui décédé.

Il faut dire que tout ou presque oppose les supporters des deux clubs, issus historiquement de deux communautés religieuses différentes. L'animosité, qui dépasse largement le cadre du foot, est si présente, que les affrontements, les crimes, voire les meurtres, ont été nombreux par le passé. En 2012, le gouvernement écossais a même fait passer une loi punissant les insultes avant les matches pour tenter d'éliminer les débordements.

"Quand vous portez ce maillot, vous ne jouez pas seulement pour un club de foot, vous jouez pour un peuple, pour une cause", résumait Tommy Burns. Le légendaire joueur puis entraîneur du Celtic, décédé en 2008, trouvait le derby aussi nauséabond qu'excitant.

Immigration irlandaise


Tout n'a pourtant pas été toujours aussi violent. Lors de la fondation du Celtic en 1888, soit seize ans après les Rangers, l'entente était cordiale. Le derby fut le premier match des "Hoops" et déjà, 2.000 spectateurs, du jamais-vu, s'étaient massés pour y assister.


La relation est même restée amicale jusqu'à l'approche de la Première Guerre mondiale. Avant de dégénérer "quand l'aspect religieux s'est insinué", juge David Potter, auteur de plusieurs ouvrages historiques sur le Celtic.

Car le club au trèfle, fondé par un frère mariste irlandais, représente la communauté catholique irlandaise de la ville basée dans les quartiers Est. Chassées par la Grande Famine dans les années 1840, de nombreuses familles ont quitté l'île pour s'installer en Ecosse.


Un des 404 derbies de Glasgow entre le Celtic et les Rangers, le 29 mars 2008 à Ibrox Stadium.

Les Rangers, eux, sont devenus les représentants de la classe ouvrière protestante sur le tard et presque par hasard. "Il y avait un besoin d'un club de tradition écossaise pour rivaliser avec le Celtic. Et ça a décollé", explique Robert McElroy, auteur de plusieurs ouvrages sur les Rangers.

Dans les années 1910, l'entreprise nord-irlandaise Harland and Wolff établit des chantiers navals près du stade des Rangers. L'installation fait basculer l'opposition dans la guerre de religion.

Les constructeurs du Titanic, qui refusaient d'employer des catholiques, ont fait venir de Belfast une partie de la main d'oeuvre. Et ces travailleurs nord-irlandais protestants ont naturellement choisi de supporter le club local, creusant définitivement le fossé religieux avec le Celtic.

Rivalité 'ethnique


"Cela a changé la mentalité des Rangers. Ils ont arrêté de recruter des joueurs catholiques à ce moment-là et cela a enflammé la rivalité", explique Paul Brennan, le rédacteur en chef du site Celtic Quick News. "La rivalité n'était plus footballistique, elle était devenue ethnique."

En 1989, les "Gers" ont mis fin à leur sectarisme en signant le catholique et ancien du Celtic Mo Johnston. Cela n'a pas pour autant réglé les différents. D'autant plus que les deux clubs ont au fil des années embrassé le conflit irlandais et se situent à l'opposé du spectre politique. Le Celtic est autant associé au socialisme et aux Républicains irlandais que les Rangers le sont aux conservateurs et aux Unionistes nord-irlandais.

"Glasgow a changé maintenant, mais c'est encore votre culture ou votre histoire familiale qui détermine quel club vous supportez", ajoute le journaliste.

Si les tensions religieuses ou irlandaises sont un peu apaisées, la rétrogradation en quatrième division des Rangers en 2012 et les conflits politiques autour du référendum sur l'indépendance écossaise -- les supporters du Celtic étant en faveur, ceux des Rangers voulant rester fidèles au Royaume-Uni -- ont remis de l'huile sur le feu.

"Au stade, j'adore. Ca ajoute quelque chose, c'est sûr. Dans les villes et les villages autour de Glasgow, je n'aime pas du tout", regrette Brennan. "Glasgow n'est pas à son meilleur quand il y a ce match. Et l'Ecosse non plus."


Par Le360 (avec AFP)
Le 31/12/2016 à 16h29, mis à jour le 31/12/2016 à 16h52