Dans le foot de haut niveau, les sentiments n’ont aucune place. Il n’est question que de performances, de résultats, de chiffres et de business. C’est un monde de brutes, dirait-on, où les sentiments sont assimilés à une faiblesse. Un anachronisme.
Et pourtant!
La mémoire du foot mondial se souvient encore de la belle et solide amitié qui avait uni les deux Hollandais volants: Johan Cruyff et Johan Neeskens. Les deux Johan ne partageaient pas que le même prénom. Ils étaient partenaires et amis, et ils ont beaucoup joué et voyagé ensemble. A l’Ajax, à Barcelone, et en sélection hollandaise.
Il faut dire que l’époque, celle des années 1970, se prêtait à ce genre de «romantisme». Le football était assimilé à de la contre-culture, comme la musique et certains arts.
Plus tard, et sur un terrain plus politique, nous avons le Brésilien Socrates qui a rassemblé ses nombreux coéquipiers et amis du Corinthians pour fonder une «démocratie», expérience mêlant foot et politique dans un contexte extrêmement compliqué, restée unique en son genre.
Au Maroc aussi, nous avions nos «amis», dont les plus célèbres restent Ahmed Faras et Hassan Amcharrat, alias Acila. Les deux enfants de Mohammedia ont fait leurs classes au Chabab local et en sélection, où leur complicité sautait aux yeux, prenant parfois des traits très personnels.
Mais toutes ces histoires appartiennent au passé. Ce qui a changé aujourd’hui, c’est qu’en plus de l’aspect business et marketing, devenu prépondérant, d’autres paramètres sont entrés en jeu. Le discours véhiculé autour du foot est devenu plus lisse, plus formaté. Nous avons des joueurs, y compris les stars, qui nous disent la même chose: ils font plus attention à leurs sponsors qu’à leurs opinions, sentiments ou à leurs relations avec leurs partenaires. Ils calculent tout.
Nous avons aussi, à l’image de ce qui se passe dans nos sociétés de plus en plus individualistes, ce sentiment du chacun pour soi, où les stars sont des marques ambulantes, en éternelle représentation, qui roulent uniquement pour leurs intérêts.
Voilà pourquoi l’amitié affichée par Hakimi et Mbappé détonne et sort de l’ordinaire. Alors que les faits et gestes des stars sont épiés, décortiqués et sur-analysés, les deux «demi-frères» (dixit le quotidien «L’Equipe») n’en font qu’à leurs têtes. Et ils ont raison.
Ils sont décontractés dans un monde et un environnement qui ne le sont pas. Leur belle et sincère amitié semble appartenir au monde d’hier.
Surtout, et c’est peut-être cela qui déstabilise une majorité de scrutateurs, les deux garçons viennent de deux mondes différents. Ils ont le même âge et les mêmes goûts, mais pas la même nationalité. L’un est Marocain, l’autre Français. Ils n’ont pas grandi ensemble, et cela fait moins de deux ans qu’ils jouent ensemble en club.
Alors les scrutateurs ne comprennent pas. Ne digèrent pas. Cherchent la petite bête.
Parlerait-on autant des deux garçons, se moquerait-on autant, s’ils étaient «franco-français»? On peut se poser la question, même si on a une idée de la réponse…
En réalité, cette amitié est rare et belle à la fois. Elle nous rappelle que le foot, heureusement, reste humain, et que les stars ne sont pas des machines froides et sans âme.
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