Filinfo

Foot

Le football est aussi une affaire d’intellectuels

La joie des Lions de l'Atlas contre le Portugal, le samedi 10 décembre 2022. © Copyright : DR
En suivant les performances des Lions de l’Atlas au cours du mondial Qatar 2022, et en écoutant les commentateurs, les nouveaux adeptes ont découvert ce qu’est vraiment le football. Un sport qui se distingue de tous les autres sur plusieurs aspects.
A
A

Le parcours exceptionnel des Lions de l’Atlas a montré de façon claire que le football, jadis mal-aimé des franges intellectuelles de la société marocaine, a conquis de nouveaux supporters et une nouvelle –et assez consistante– population de fans.

Le sens patriotique est probablement le facteur déterminant de cette nouvelle passion pour les Marocains et les Marocaines, mais il semble que ce ne soit pas le seul.

En effet, en suivant les performances des Lions de l’Atlas au cours du mondial Qatar 2022, et en écoutant les commentateurs, les nouveaux adeptes ont découvert ce qu’est vraiment le football. Un sport qui se distingue de tous les autres sur plusieurs aspects.

D’abord, il a des règles à la fois simples théoriquement, mais très compliquées à mettre en œuvre. Ensuite, c’est le sport où l’injustice de l’arbitrage est une donnée réelle, parce que sur plusieurs actions c’est l’interprétation de l’arbitre qui compte. Une main est volontaire ou involontaire selon la perception et l’interprétation de l’arbitre, de même pour les cartons jaunes et les fautes en dehors de la surface de réparation.

Le football est un sport de contact qui autorise les poussées épaule contre épaule, la question est: jusqu’à quel point? C’est l’arbitre qui décide. Il est aidé depuis quelques années par l’arbitrage vidéo. C’est une équipe d’arbitres qui visionne les actions et l’aide à prendre une décision, mais ça ne change rien à son pouvoir. Cette donnée a généré bien des frustrations chez les supporters anciens comme nouveaux.

Il y a d’autres caractéristiques du football qui le distinguent des autres sports. Le but, le goal, est une denrée rare en foot, ce n’est pas le cas des autres sports. À cet égard il convient de souligner le nombre de matchs qui se terminent par un 0-0. Il est impressionnant, sans que pour autant ces matchs-là soient sans suspense ou sans intérêt.

C’est aussi la seule activité humaine qui se pratique avec les pieds. Pour toutes les activités humaines, le cerveau utilise la main pour faire exécuter des instructions. Que l’activité soit manuelle ou intellectuelle, c’est bien avec la main que l’on écrit, qu’on peint ou que l’on joue de la musique. Pour le football, le pied prendra la place et le rôle de la main, des fois de la tête. La main étant rarement utilisée en jeu, sauf pour exécuter une touche ou pour le gardien de but dans sa surface de réparation.

Les qualités que l’on exige du footballeur ne sont pas celles qui sont demandées aux joueurs des autres sports. Le rugbyman doit être fort, le basketteur adroit, le volleyeur doit disposer d’une bonne détente, le joueur de handball doit être patient. Le footballeur doit avoir toutes ces qualités et surtout il doit être intelligent.

L’intelligence est une qualité indispensable pour un joueur. Il faut anticiper en permanence, susciter une balle en se démarquant, créer un espace pour un coéquipier mieux placé, c’est un véritable exercice de géométrie dans l’espace que doit réaliser un joueur tout au long d’un match. Ce qui en fait le seul sport où une équipe de 4e division peut éliminer un champion d’Europe sur un match. L’intelligence des joueurs est déterminante dans ce cas. C’est impossible ailleurs ! En football, un match n’est jamais perdu avant d’être joué, quelle que soit la différence de talent. L’intelligence individuelle et collective explique le résultat final. 

Il y a des actions en football qui utilisent des trajectoires impossibles à voir à l’œil nu. C’est souvent grâce aux caméras et au replay qu’on les comprend et qu’on découvre le génie du joueur qui les a initiées.   

La règle du hors-jeu contribue à l’intelligence du jeu. Bien appliquée par les défenseurs, qui doivent faire preuve de solidarité et de discipline, elle permet d’éviter un nombre incalculable de buts. Cette règle est à priori simple, mais elle n’est pas comprise par tous et il peut être dur d’expliquer au profane qu’un but a été refusé pour hors-jeu de position, alors qu’il venait à peine de comprendre qu’un hors-jeu se juge au départ de l’action et que le joueur qui a marqué n’était pas hors-jeu.

Jusqu’à cette Coupe du monde, le rapport des intellectuels marocains au football était symbolique. Ils ont vaguement entendu parler de Messi, Cristiano, Zidane, Pelé, Maradona, Platini, Naybet, Bassir ou Timoumi, mais avec cette Coupe du monde, ils ont découvert un autre monde qu’ils n’avaient même pas envisagé.

Ils ont découvert que le football, c’est des stratégies, des tactiques, une préparation, de la chance, du rêve, du bonheur, des émotions fortes et à la fin un vainqueur, un vaincu.

À y regarder de plus près, c’est presque un résumé de ce qu’est la vie avec un grand V.

Ils ont appris que l’on pouvait bien jouer et perdre, comme contre la France, que l’on pouvait laisser le ballon à l’adversaire et au final avoir plus d’occasions de buts, dixit le match contre l’Espagne, ils ont découvert le frêle Ounahi, en même temps que le pourtant expérimenté Luis Enrique, sélectionneur espagnol. Ils ont appris à connaître Ziyech et son regard grognon, Amrabat et son énergie de combattant. C’est en le regardant jouer qu’ils ont compris pourquoi l’équipe nationale est surnommée les Lions de l’Atlas.

Ils ont vu les Marocains courir, souffrir, appliquant à la lettre les instructions de leur chef, parce qu’il faut bien en parler de Walid Regragui, de son management, de sa communication, de son ambition, de son sens tactique et de la mobilisation qu’il a réussi à créer chez les joueurs et leur environnement.

Cette frange de nouveaux supporters va probablement rester en contact avec le football, peut-être pas avec la même ferveur que les passionnés, mais pour les enseignements qu’elle peut tirer du monde du football sur le plan sociologique, économique et politique. Nous avons également besoin de leur regard pour mieux comprendre la société et son évolution.

Le plus fascinant dans le football, c’est le comportement! Tous les supporters finissent par oublier les règles élémentaires du protocole lorsque leur équipe gagne un match. Que dire lorsqu’ils commentent une décision arbitrale? Ils ont atteint un tel niveau de mauvaise foi qu’ils sont capables de vous sortir deux théories complètement opposées pour une même action dès que les protagonistes changent. Ils ne sont pas toujours comme ça dans la vie, bien heureusement!​

Par Larbi Bargach
A
A

Tags /


à lire aussi /


Commenter cet article
Oups ! il semble que votre name soit incorrect
Oups ! il semble que votre e-mail soit incorrect
Oups ! il semble que votre commentaire est vide

Oups ! Erreur de valider votre commentaire

Votre commentaire est en attente de modération


Chargement...

Chargement...

Info

Retrouvez-nous