Le clasico avec un seul «s» a souvent été imité, jamais égalé. Le seul, le vrai, l’unique concerne celui d’Espagne, avec les équipes du Real Madrid et du FC Barcelone. En termes d’audience, ce match est très suivi. Il fait partie du top 5 des matchs de football les plus cotés par les sociétés spécialisées dans les calculs de taux d’audiométrie. Seules les finales de Coupe du Monde ou de Ligue des Champions suscitent plus de passions et d’engouements.
Il a perdu de sa saveur depuis quelques années, en raison d’une baisse de forme durable de l’équipe catalane. Les départs de Messi, Iniesta, Neymar ou même Xavi ont laissé des traces. Plusieurs entraîneurs se sont succédés pour revigorer l’équipe. Ils ont tous échoué, avec des éliminations cinglantes lors de matchs retour très mal négociés. Celle de la saison dernière a provoqué un véritable séisme. Se faire humilier à domicile par le Paris Saint-Germain, un spécialiste des éliminations précoces, alors qu’on avait gagné lors du match aller, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Oubliant la solidarité catalane et le respect des icônes, le président Laporta a viré Xavi, l’ancien joueur emblématique des plus belles années du Barça. Il l’a remplacé par un Allemand, rigoureux, exigeant et pragmatique. Il a été à l’origine de la plus grosse humiliation subie par le club: le fameux 8-2 face au Bayern. L’entraineur Hansi Flick est la nouvelle tendance des réseaux sociaux.
Le Real sur le toit du monde, malgré le départ de ceux qui avaient conquis la décima et les trois Ligue des Champions à la suite, dominait le clasico de la tête et des épaules, accumulant victoires sportives et extra-sportives. Le Real, parfaitement géré, recrutait les meilleurs espoirs et résistait, avec arrogance, aux clubs financés par des États. Les jeunes Vinicius, Valverde, Rodrygo et Camavinga ont déjà deux Ligues des Champions à leur actif. Ils ont éliminé Manchester City deux fois, Chelsea (champion d’Europe), le Bayern, le Paris Saint-Germain, Dortmund et Liverpool: que du beau monde.
Cette nouvelle génération très performante semblait hors de portée, surtout avec l’arrivée de Bellingham, Mbappé, Arda Güler et Endrick. De son côté, le Barça ne pouvait compter que sur les jeunes formés au sein de la Masia en raison d’une crise économique sans précédent et inexplicable compte tenu des performances passées du club. Les seuls recrutements provenaient de clubs amis: Gundogan de Manchester City ou de joueurs en fin de contrat. Cette situation pénalisait le marketing du clasico au grand dam des trésoriers des deux clubs. L’excellent début de saison de la formation blaugrana et la récente «remontada» du Real face à Dortmund ont changé la donne.
Le clasico redevenait le clasico avec ses polémiques d’avant-match et ses moqueries de troisième mi-temps. La joie en football est une denrée périssable. Une défaite efface le bonheur des matchs passés et une victoire ravive la flamme. Une polémique d’avant-match, sur l’arbitre désigné pour la partie, aurait pu prospérer. Elle s’est vite éteinte. L’arbitrage du match a été parfait. Les débats se sont alors concentrés sur le score et sur le contenu du spectacle. La belle victoire du Barça avec un gros score ne souffre d’aucune contestation. Elle va redonner espoir et ambitions à tous les supporters culés.
Des supporters qui se sont lâchés sur les réseaux sociaux avec des montages, des vidéos et des publications non dénuées d’humour. Une publication est particulièrement rigolote: un passager demande à un chauffeur de taxi rouge s’il peut prendre quatre passagers? Le chauffeur lui répond avec beaucoup de malice: «non je n’ai pas le droit, mais contactez le Real!».
Le chambrage ce n’est pas du football, mais ça fait partie de son folklore et de son côté ludique. Le football c’est plus sérieux; un match comme le clasico permet de mesurer les forces en présence. Le Barça a présenté une des plus belles versions de jeu de ces dernières années: une équipe très bien préparée sur le plan physique et tactique, deux domaines où ils ont largement pris le dessus sur les Madrilènes.
Le score importe peu: le Real a raté d’énormes occasions qui auraient pu le remettre en selle et il aurait pu être plus large si le Barça avait transformé toutes les occasions qui se sont présentées. Ce qui importe, ce sont les dispositifs avec lesquels les deux entraîneurs ont abordé le match; et le moins que l’on puisse dire est qu’Hansi Flick a pris le dessus sur Ancelotti. Il a remis au goût du jour un dispositif défensif que l’on croyait enterré à jamais, basé sur le piège du hors-jeu: une symphonie exécutée à la perfection.
Hansi Flick a piégé le Real 12 fois sur hors-jeu avec un record pour Mbappé: 8 fois. Il a renoncé à la possession stérile —une méthode jusqu’alors sacrée chez les puristes du club— et a fait participer tous les joueurs à toutes les tâches défensives et offensives. Il a surtout bonifié un grand nombre de talents individuels avec la renaissance de Lewandowski, redevenu la machine à marquer des buts d’antan, l’explosion de Raphinha et l’intégration de Lamine Yamal. Sa confiance envers les jeunes du club dénote avec la frilosité d’Ancelotti. Ce dernier n’arrive toujours pas à intégrer Mbappé. Il a pourtant repositionné Bellingham et Valverde pour lui offrir un espace. Au final, les trois n’ont plus l’efficacité attendue.
Il faut éviter de s’emballer, la saison vient juste de commencer. Il faut s’attendre à une réaction violente du Real, blessé dans son amour propre. Le Barça doit encore passer un cap, celui des mois de janvier et février, avant de convaincre définitivement. Les spectateurs neutres sont ravis de la tournure des événements, ils se sont régalés lors du clasico. Un seul bémol, les cris racistes à l’encontre de Lamine Yamal, Ansu Fati et Raphinha. Les coupables sont identifiés, ils seront traduits en justice, on espère une condamnation exemplaire. Le racisme n’aura jamais sa place dans le football.