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Football marocain: le TGV et le train à vapeur

De gauche à droite: Abdeslam Belkchour, président de la LNFP, Fouzi Lekjaa, président de la FRMF, et Said Naciri, ex-président de la LNFP. © Copyright : DR
C’est un paradoxe typiquement made in Morocco. Notre football est géré de deux façons diamétralement opposées. Il y a tout d’abord le management de la FRMF, basé sur des procédures et des règles «vertueuses», et, en face, l’univers de nos clubs où les termes litiges, surendettement, grèves et valse des entraineurs font partie d’un quotidien bien morose. Voilà qui est curieux pour un pays dont la sélection a terminé 4ème de la dernière Coupe du monde.
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C’est un peu l’histoire du TGV et du train à vapeur, cette impression de voir le football marocain écartelé entre deux mondes, pour ne pas dire deux époques, tellement éloignés.

Pourtant, beaucoup de supporters, dont nous faisons probablement parties, espéraient que l’épopée des Lions de l’Atlas durant le Mondial qatari, allait «contaminer» la Botola et ses petites soeurs, et faire disparaître, ou au moins atténuer, cette criante dichotomie fédération/clubs, et faire naître un modèle unique, où l’efficience, la compétence et la bonne gouvernance seraient autre chose que des mots sur des communiqués.

En effet, la FRMF suit depuis 10 ans un manuel de procédures qui ne laisse quasiment aucune marge à l’approximation. Ce mode de fonctionnement a encore plus gagné en lisibilité depuis que la fédération s’est délestée des tracas de la programmation de la Botola et des championnats des divisions inférieures, et surtout des polémiques liées à l’arbitrage.

Aujourd’hui, les différents pôles de l’instance faîtière du football marocain fonctionnent à plein régime. Le Complexe Mohammed VI abrite une véritable ruche où cohabitent les différentes équipes nationales. Ces dernières disposent d’un programme de préparation étudié à l’avance, chiffres à l’appui. Lors de la dernière date FIFA, près de 480 joueurs y étaient en concentration. Ils représentaient, outre l’Equipe Nationale A, les différentes catégories de jeunes, les féminines dans leur version locale, la sélection de Futsal et celle de Beach Soccer.

Le programme sport études fonctionne également à plein régime, que ce soit à Maâmora ou dans les centres régionaux de Saïdia et Béni Mellal, en attendant la mise en chantier de ceux de Casablanca et Laâyoune. D’ailleurs, ce projet pilote ne concerne pas uniquement les futures pépites du football marocain, mais englobe également la formation des arbitres de demain. En tout, 90 jeunes âgés de 15 à 18 ans disposent d’un programme où cohabitent cours théoriques et pratiques. À l’horizon 2026/2027, notre pays devrait disposer d’une élite dans le domaine de l’arbitrage, qui plus est à 100% professionnelle.

Cette politique volontariste commence d’ailleurs à donner ses fruits avec les qualifications des sélections féminines pour le Mondial 2023, des U17 et U20 pour la Coupe du monde, sans oublier la suprématie démontrée par le Futsal national à l’échelon africain. Pour le moment, seule la CAN des seniors semble encore résister à cette impulsion positive.

Enfin, last but not least, au chapitre des relations internationales, le Royaume jouit d’un prestige inégalé comme le prouvent les conventions de coopération signées avec 44 fédérations du continent africain. Ces accords permettent aux pays qui ne disposent pas de stades aux normes de la CAF de disputer leurs rencontres officielles dans nos stades, et de se préparer gracieusement dans les différentes infrastructures mises à leur disposition.

Malheureusement, si tous les voyants de la FRMF sont au vert, la gouvernance de la majorité des clubs laisse à désirer. Un simple chiffre illustre ce constat: en juillet 2023, dans un exercice de transparence inusité, la Ligue nationale de football professionnel (LNFP) a livré à l’opinion publique le détail des états financiers des clubs. Le cumulé des dettes frôle les 290 millions de dirhams, et seulement 6 clubs de la Botola Pro sont à jour au niveau du paiement des salaires et des primes des joueurs et entraineurs. Il s’agit du FUS, de l’AS FAR, de l’UTS, de la RSB, de la JSS et du RCAZ. Les autres, y compris le Wydad et le Raja, font partie des mauvais élèves.

Pourtant malgré la sonnette d’alarme tirée par la LNFP, certains clubs ont continué à creuser leur déficit à coups de recrutements ronflants, et de chèques sonnants et trébuchants. L’IRT, le MAS et le MCO battant tous les records en termes de litiges, alors qu’ils ne participent à aucune compétition continentale ni arabe.

Loin des standards de gestion professionnelle, nos clubs dévorés par la fièvre acheteuse font leur «Moroccoto» sans égard pour leur santé financière. Ils basent leur stratégie sur le besoin de contenter des supporters avides de bons résultats, avec comme seul horizon le résultat du week-end. Aujourd’hui, la moindre page de supporters sur les réseaux sociaux peut entraver la bonne marche des clubs car les dirigeants, ces bénévoles d’un autre temps, sont perméables à la pression d’une minorité bruyante de fans.

D’ailleurs, les recettes potentielles de nos clubs se comptent avec une calculette de poche. Elles se composent principalement de la billetterie et des droits télé -qui représentent la plus grosse part du gâteau-, d’un zeste de sponsoring et de quelques poussières de merchandising.

Et encore, ces piliers financiers restent tributaires d’éléments immuables. Les recettes au guichet sont entravées par les multiples huis clos, les droits télé sont lestés par les litiges, le sponsoring dépend souvent du réseau de connaissances du président ou de la frilosité des entreprises, pas très enthousiastes à l’idée d’associer leur nom ou marque à un sport peut-être populaire, mais à l’image pas forcément flatteuse. Enfin, la vente de produits dérivés est handicapée par le marché de la contrefaçon, et par le pouvoir d’achat modeste de la base des supporters.

Le dernier obstacle à une gestion exemplaire, et donc à des clubs plus performants, est cette période transitoire qui précède le passage du système associatif à la prise de contrôle des clubs par la société sportive. La loi 30/09 ne permet pour l’instant que la création d’une structure de gestion des clubs. Il n’existe aucun élément juridique permettant la prise en main de ces entités par des investisseurs. Résultat des courses: les associations sportives détiennent la quasi-totalité des actions des clubs. Et souvent les rebuts des clubs prennent possession de la société sportive et perpétuent un mode de gestion qui a fait la preuve de son échec.

Le tableau ainsi brossé révèle un football à deux, voire à plusieurs vitesses. D’ailleurs, pour réduire l’écart abyssal entre la gestion fédérale et le management des clubs, la LNFP a procédé ces dernières semaines à un audit des clubs des deux divisions professionnelles, plaçant comme objectif une mise à niveau à l’horizon 2030.

L’échéance n’est pas fortuite, puisqu’à cette date, tous les regards de la planète foot seront braqués sur le Maroc. Il s’agira de ne pas rater ce rendez-vous crucial avec l’histoire. Faute de quoi, la fable du TGV et du train à vapeur continuera à être ressassée, jusqu’à la nausée, par les prochaines générations.

Par Amine Birouk - Rédacteur en chef de Radio Mars
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