Contrairement à certains pays pétroliers victimes d’un blocage idéologique et politique, pourtant dépassé depuis la chute du mur de Berlin, les pays du Golfe préparent déjà l’après pétrole.
Dans leurs stratégies, l’image et la notoriété du pays ont une place importante (marketer pour mieux la vendre). Chacun a entamé le process, à sa manière, depuis quelques années déjà. Les Emirats s’appuient sur le tourisme avec Dubaï comme vitrine, la Coupe du Monde pour le Qatar et les compétitions sportives pour l’Arabie Saoudite.
Ça a commencé avec le sport automobile et le lancement d’un Grand Prix de Formule 1 à Djeddah. Cette compétition, qui compte pour le championnat du Monde, est la deuxième du circuit à se dérouler en nocturne après Singapour. Les compétitions féminines ne sont pas en reste. Les Saoudiennes, qui en 2016 n’avaient pas encore l’autorisation de conduire, ont déjà leur championne en la personne de Dania Akeel qui a remporté plusieurs titres dans la catégorie T3. Un vrai miracle.
C’est ensuite le golf professionnel qui a connu sa révolution avec l’arrivée d’une nouvelle ligue saoudienne dédiée à ce sport. Cette ligue, appelée la LIV golf a été créée par un fonds d’investissements saoudien avec des budgets colossaux sans aucune mesure avec les moyens pourtant importants du golf professionnel aux Etats-Unis et en Europe. L’Arabie Saoudite a confié le développement économique et sportif de ce projet à un ancien champion du monde, Greg Norman. Dès sa création cette nouvelle entité a réussi à attirer plusieurs vedettes connues du golf mondial au point de déclencher une série de mesures de sanctions et d’exclusions par la PGA (USA) et par la DP World Tour, les pros d’Europe. Ces menaces n’ont pas vraiment fonctionné, deux des plus grands joueurs du circuit américain Dustin Johnson, ancien n°1 mondial et vainqueur de deux majeurs, et Phil Michelson, le génial gaucher probablement le deuxième meilleur golfeur des vingt dernières années après Tiger Wood, ont signé pour participer à la LIV Cup. Ils ne seront pas seuls, d’autres grands golfeurs finiront par céder aux sirènes saoudiennes.
L’argument principal auquel ont succombé la plupart des champions, c’est la dotation financière du nouveau circuit et le montant des primes à recevoir en cas de victoire. Des montants de 3 à 4 fois plus importants que ce qui était pratiqué par la PGA. Mais ce n’est pas la seule raison, la réduction des journées de golfs, 3 jours au lieu de 4 et un parcours de 54 trous au lieu de 72 a un peu pesé dans la balance.
Pour contrecarrer cette révolution du golf mondial, les pontes de la PGA avaient soulevé la question des droits de l’homme, un classique qui fonctionne de moins en moins souvent tant il a été utilisé de façon opportuniste. Des menaces de suspensions ont aussi été brandies sans succès non plus et enfin des plaintes judiciaires ont été engagées. Elles ont eu du mal à prospérer, la liberté de marché est un sacro-saint de l’économie occidentale.
Le 6 juin dernier, PGA et DP World Tour ont fini par annoncer un projet de fusion avec la LIV Golf saoudienne sous prétexte de «mettre fin à une querelle qui a empoisonné le jeu professionnel tout au long de la saison 2022-2023 et d’unifier le jeu de golf». Cet accord est en réalité strictement économique et la nouvelle structure n’a que des visées commerciales. Il consacre un principe qui s’attaque de plus en plus au sport de haut niveau celui du «Business First».
Mais c’est le football, sport universel par excellence, qui vient de donner une visibilité accrue à cette stratégie. Elle consiste à créer une compétition et ensuite fissurer celles existantes pour s’imposer par le haut. José Luis Mendilibar, entraîneur du FC Séville, a été le premier à le comprendre suite au départ de Yacine Bounou à Al Hilal. Son inquiétude n’était pas uniquement liée à la perte d’un joueur essentiel de son effectif, mais aussi à la possibilité de permettre des transactions sur des joueurs alors qu’une nouvelle saison venait de commencer.
Et cette possibilité est encore plus préoccupante lorsqu’on sait que le mercato des clubs européens va fermer le 1er septembre au plus tard, alors que celui de la Saudi Pro League restera ouvert jusqu’au 21. Pendant une vingtaine de jours certains clubs seront sous la menace de perdre certaines de leurs vedettes sans pouvoir les remplacer. Il suffira de payer leurs clauses de départ et de convaincre le joueur en question.
Cette pression va s’accompagner d’une demande d’intégrer la Ligue des Champions de l’UEFA, certains médias l’évoquent déjà.
Après ce qu’il s’est passé pour le golf professionnel, on ne peut plus écarter cette option. Elle peut même être avantageuse pour l’Europe, elle obligera les nouveaux venus à se plier aux règles du football européen, notamment le fair-play financier.
Ancelotti, l’emblématique entraîneur italien du Real Madrid, interrogé sur le sujet a dessiné les contours d’une sortie de cette crise latente, «chaque pays a le droit de développer les compétitions qu’il organise dans le cadre du respect des règles du fair-play financier».
On comprend ce qu’il veut dire, pour faire face au défi saoudien, le football a tout intérêt à l’intégrer dans son giron. Ce n’est probablement pas la seule solution, la vie est beaucoup plus ingénieuse que ça.