Il existe en football deux mondes parallèles en matière de mercato. Tout d’abord, il y a celui qui respecte les normes de recrutement selon les besoins, les moyens financiers, les qualités techniques ou physiques du joueur et, enfin, la plus value financière que cette recrue pourrait apporter sur le plan commercial, marketing ou du merchandising. Somme toute, c’est le mercato normal qui respecte une certaine orthodoxie. Et puis, il ya la spécificité ou l’exception marocaine, le fameux Moroccoto, terme bien cher à notre ainé Belaid Bouimid.
Le Moroccoto est un mode de fonctionnement qui répond à une conjoncture bien particulière. On pourrait paraphraser ou s’inspirer d’une formule de Coluche. C’est «l’histoire d’un mec» qui décide de devenir président, et qui pendant sa campagne promet monts et merveilles aux adhérents ou aux supporters. Monsieur X a la baguette magique et avec lui tous les soucis sportifs et financiers du club vont tomber aux oubliettes. Et la formule qui doit satisfaire la vox populi, c’est de recruter des joueurs sans logique sportive et financière. Un mercato particulier qui se déroule en l’absence de toute structure dédiée à ce type de transaction. Sans organigramme lisible, sans l’avis d’une quelconque commission financière, et sans l’aval d’un directeur sportif, poste qui brille d’ailleurs par son absence dans 80% de nos clubs.
Cette fièvre acheteuse doit calmer les ardeurs des supporters, anesthésier les velléités des adhérents, et pousser la concurrence à surenchérir davantage sur le marché des transferts. La suite de l’opération se déroule dans la douleur. Le joueur dans la plupart des cas ne donne pas satisfaction ou n’a pas perçu son dû, car il ne faut pas oublier qu’il a paraphé un contrat avec une prime de signature mirobolante qui ne répond à aucune logique économique. Du coup, il dépose une plainte en bonne et due forme à la commission des litiges de la FRMF ou va même plaider sa cause et défendre ses intérêts à la FIFA ou au TAS. Ce milliardaire virtuel se retrouve sur la paille pour quelques mois ou quelques années en attendant le chèque qui finira par tomber.
Aujourd’hui, 40 dossiers concernant les clubs marocains se trouvent devant la commission compétente de la FIFA. Ils ne concernent pas seulement des entités de première et deuxième division, puisque le foot amateur et féminin sont également concernés. Et à ce rythme, le football marocain finira par être blacklisté par la Fifpro ou la FIFA.
Cette tendance inflationniste a également un effet boomerang. Elle dissuade tout éventuel investisseur. Qui pourrait mettre son argent dans un club à perte? Quel manager pourrait envisager de s’engager sans connaitre sur le bout des doigts l’état des finances de son club? Quel fonds d’investissement serait susceptible de prendre le risque de venir dans une bulle sur le point d’éclater?
Evidemment la réponse coule de source: personne, d’autant plus que l’architecture juridique liée à la fameuse loi 30/09 est un autre élément dissuasif. Le début de l’exercice 2024/2025 est la parfaite illustration de cet état de fait. Le Raja a un déficit de 43 millions de dirhams, et n’a pas encore pu qualifier ses joueurs. À Tanger, la société IRT est en conflit avec l’association, faute de justificatifs de dépenses. À Tétouan, c’est une commission provisoire qui gère un club en situation précaire. Le MAS quant à lui doit subir un lifting financier avec pour objectif de résorber une dette abyssale. Enfin, c’est un SOS que doit lancer un SCCM, en pleine déconfiture sportive et financière.
Le panorama ne doit pas inciter à l’optimisme. Il est le reflet d’un football qui vit au dessus de ses moyens, d’un microcosme où les termes transparence, discours de vérité avec les supporters et gestion rigoureuse ne sont pas à l’ordre du jour. Alors chers dirigeants, en attendant une mise à niveau nécessaire avant le Mondial 2030, continuez votre Moroccoto Made in Khoroto. Gaspillez, dépensez et surtout n’hésitez pas à refiler la patate chaude à votre successeur qui continuera avec brio votre politique de fuite en avant. Et à moins d’une intervention décisive du gendarme du football marocain, c'est-à-dire la fameuse Direction nationale de contrôle et de gestion, et sans des décisions sportives et financière fortes, le Moroccoto a encore de beaux jours devant lui.