Saïd Chengriha ne sait plus où donner de la tête. Et pour cause, en matière de football, il s'est passé trop de choses en Algérie depuis qu’il a eu la malencontreuse idée de brandir la Coupe arabe des nations, remportée par les Fennecs au Qatar, et de mettre son uniforme d’apparat pour immortaliser l’instant devant les caméras.
Et comme notre homme n'est pas vraiment un surdoué du «multitasking», son âge très avancé et sa maladie chronique ne l’aidant pas, il a beaucoup de mal à suivre. C'est simple: il est obstiné par le match barrage entre l’Algérie et le Cameroun. Il est persuadé que si par malheur l’équipe algérienne n’était pas qualifiée au Mondial du Qatar, le peuple algérien criera d’une seule voix que c’est la faute à Chengriha al manhouss, (le porte-malheur). S’il pouvait seulement faire un voyage dans le temps, non pas pour retrouver la vigueur perdue, mais pour ne pas quitter son lit le jour où l’équipe algérienne de football a été accueillie par Tebboune. Si seulement, il pouvait, si seulement il pouvait.
Ne pouvant pas voyager dans le temps, Chengriha a développé une phobie très aiguë pour tout ce qui se rapporte à l’équipe nationale de football. Il ne veut plus en entendre parler. Alors quand Tebboune a décidé d’affréter des avions pour que les supporters algériens se déplacent en grand nombre pour soutenir leur équipe au Cameroun, Chengriha a poussé une terrible gueulante. Le pays est privé de blé, la pomme de terre makach, le bidon d’huile de table est devenu le cadeau préféré des Algériens comme l’a révélé un député de Tlemcen et Tebboune parle des Fennecs. «De plus, il n’y a pas que les Fennecs qui jouent au foot dans ce pays!», s’est écrié Chengriha.
La garde rapprochée de Chengriha anticipe ses désirs, fait des réunions très longues pour interpréter la moindre mimique du chef d’état-major. Là, il a dit qu’il n’y a pas que les hommes de Djamel Belmadi qui jouent au foot dans le pays. C’est une phrase claire comme l’eau de source. Il faut en faire un bon usage sans tarder.
Il faut aviser immédiatement Algérie Presse Service (l’Agence de presse nationale algérienne, APS) de coucher ses lumières (très tamisées), l'une après l'autre et par ordre de priorité.
Pour toute personne ayant un minimum de bon sens, la priorité des priorités est incontestablement le prochain match des hommes de Djamel Belmadi contre le Cameroun comptant pour les barrages de la Coupe du Monde 2022. Mais après l’injonction de Chengriha, il faut modifier l’ordre des choses.
Ainsi la visite à Tlemcen d’une délégation du «club de football» d’un des multiples camps de réfugiés devient un évènement plus important que le match barrage de l’Algérie contre le Cameroun. Ce camp de réfugiés à Tindouf, en Algérie s’appelle Smara. Et l’APS de titrer le plus sérieusement du monde, dans une dépêche datée du mardi 15 mars, «foot: une équipe de Smara (RASD) hôte de l'académie d'El Mansourah». Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette dépêche est au-dessus des sujets consacrés au match décisif des Fennecs. Hiérarchiquement, l’APS place l’équipe de «Smara» au sommet et l’équipe nationale algérienne au rez-de-chaussée.
L’agence de propagande de la junte développe même un contenu: «l’objectif visé à travers cette action est de permettre aux frères sahraouis d'exploiter le sport pour faire connaître leur cause dans le monde entier». Ce n’est pas très original, mais ça a le mérite de donner suite aux directives de Chengriha. D’ailleurs, la garde rapprochée du général a établi un plan détaillé pour bannir définitivement l’équipe nationale de football des journaux algériens dans le cas d’une élimination face au Cameroun.
Ce plan détaillé comprend une diabolisation de l’entraîneur Djamel Belmadi qui est un agent infiltré du Makhzen, mandaté pour déstabiliser l’Algérie et démoraliser l’armée algérienne. Les preuves de cette félonie ne manquent pas: ses déclarations contre l’état de la pelouse du stade Tchaker seraient une marque patente de son manque de patriotisme. Après une campagne médiatique forcenée pour affirmer que Djamel Belmadi est un agent du Makhzen, cet entraîneur sera déclaré «terroriste» dans le journal officiel. Et pour barrer la route à toute tentative de soutien de la part des joueurs, eux-mêmes feront l’objet de campagnes de diffamation bien orchestrées. On va cibler leurs tatouages sataniques, le fait qu’ils ne connaissent pas tous par cœur les paroles de l’hymne nationale, qu’ils préfèrent s’exprimer en français au lieu de l’arabe, qu’ils vont dans des boites de nuits pour voir se déhancher des créatures qui invitent à la débauche...
Ensuite, l’APS déclarera que l’équipe nationale est dissoute et que, désormais, il sera demandé au club de «Smara», impeccablement formé dans l'académie d'El Mansourah, de défendre les couleurs nationales.
Ce plan ne sera même pas soumis à Chengriha en cas d’échec des Fennecs face aux Lions indomptables. Le vieux général serait sans doute trop déprimé par le poids de la poisse qui pèsera sur ses épaules et qui risque d’ébranler la détermination de l’armée en cas d’un conflit avec le Maroc. Alors au lieu de remplacer le chef d’état-major, autant remplacer l’équipe nationale de football par une nouvelle.