Hafid Derradji peut le crier haut et fort: il vient de passer les pires deux semaines de sa jeune existence de sbire de la junte au pouvoir à Alger... alors qu’elles devaient en principe être les plus belles. Son cœur et son corps gardent encore les séquelles de sa souffrance, lui qui se targuait d’être assez stoïque pour encaisser l’élimination des Fennecs du premier tour de la Coupe d’Afrique, et suffisamment solide pour survivre à une énième absence de son pays de la Coupe du Monde. Non, Derradji n’a jamais vécu pareille désillusion. Pourtant, tout avait bien commencé. Pour une fois, il avait joué les grands seigneurs et ne s’est pas prononcé sur l’affaire Gassama et le fameux match Algérie-Cameroun.
Mais il a suffi que Djamel Belmadi sorte de son silence et accuse l’arbitre gambien d’être derrière la défaite des coéquipiers de Riyad Mahrez et que les dirigeants de son pays annoncent qu’ils ont des preuves tangibles, que des pays tiers ont corrompu l’arbitre, pour qu’il se manifeste. Au plus profond de lui-même, il attendait une décision de la part de la Fédération internationale de rejouer la rencontre.
Il se voyait déjà commentant la demi-finale aller de la Ligue des Champions de la CAF entre les Égyptiens d’Al Ahly et les Kabyles de l’Entente sportive de Sétif (qu’il n’a d’ailleurs pas daigné de soutenir), en sortir la voix éteinte à force de crier de joie, fêter dignement l’événement durant tout le weekend, et débarquer dans la foulée sur Twitter pour changer sa photo de profil et mettre une nouvelle avec un costume vert et blanc, narguer Gassama, les Camerounais, Lekjaa et Debbouze. Mais le sort en a voulu autrement. Enfin, le sort, la FIFA, Pierluigi Collina et une consommation abusive de psychotropes aussi.
Oui, Derradji n’a pas honte de reconnaître qu’il souffre. Et si ça continue comme ça, il pourrait même écrire une ou deux chansons de raï. Il a mal à son orgueil, et aux oreilles qui ont reçu un nombre incalculable d’injures de la part de ses maîtres. À ce propos, notre ami veut apporter une petite précision. Il n’en veut absolument pas aux caporaux, ridiculisés avec cette histoire de match rejoué. Depuis quelques années, ils ont pris l’habitude de se retourner les uns contre les autres, s’éliminant les uns les autres dans une partie glauque et interminable (spécial dédicace au général-major Noureddine Mekri, alias «Mahfoud Polisario»). Du coup, pas rancunier pour un sou, notre ami dit aux généraux «Allah isame7» et leur promet un plus grand acharnement contre l’ennemi commun.
Et l’occasion de revenir à ses moutons (noirs) n’a pas tardé. Notre ami était prêt à accepter un petit lot de consolation: voir le Maroc privé de la finale de la Ligue des Champions, après la campagne digitale lancée par certains Égyptiens accusant le président de la FRMF d’être le vrai patron de la Confédération africaine de football. Il se voyait déjà à la manœuvre, donnant une interview à un des médias égyptiens, le sourire aux lèvres et saisir l’occasion pour amortir le prix du fameux costume vert et blanc... Il se voyait déjà lançant une phrase choc sur Lekjaa dont il faut se débarrasser pour libérer le football africain du joug des Mrarkas.
Finalement, le sort en a voulu autrement. Enfin, le sort, le Sénégal (qui s’est retiré), la démocratie (qui a triomphé), et un peu l’Egypte (qui ne s’est pas portée candidate). Oui, Derradji n’a pas honte de le dire: il souffre encore plus. Et si ça continue, il pourrait même écrire une nouvelle version de la célèbre chanson de son compatriote Mohamed Lamine «Kolchi ra7 ra7 et c’est trop tard».
Mais le plus triste dans cette histoire, c’est que dans la même semaine, le Maroc a accueilli la réunion ministérielle de la Coalition mondiale contre Daech et l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, a ridiculisé l’ambassadeur algérien, Nadir El Arbaoui. Il y a vraiment de quoi se lancer dans d’interminables complaintes, en maudissant le mauvais sort, le manque de chance et le soleil noir. Un registre est tout indiqué pour cette complainte: le raï. Cabotin en fin de vie dans le commentaire des matchs de football, cheb Derradji a maintenant suffisamment de bouteille et d’échecs pour se relancer dans le raï!
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