Croyant parler au palais de Bachar al-Assad, Hafid Derradji tombe dans le piège d’une activiste syrienne

Hafid Derradji, journaliste à beIN Sports au service de la junte militaire en Algérie.

Hafid Derradji, journaliste à beIN Sports au service de la junte militaire en Algérie.. DR

Le commentateur algérien Hafid Derradji a été tourné en ridicule par une activiste syrienne se faisant passer pour une responsable au palais présidentiel de Bachar al-Assad.

Le 05/09/2022 à 07h59, mis à jour le 05/09/2022 à 08h50

Hafid Derradji vient de passer l’une des pires journées de sa courte existence de sbire à la solde de la junte algérienne. Le commentateur sportif de beIN Sports s’est fait avoir comme un bleu sur un contre-pied d’une activiste syrienne, qui s’est présentée comme une responsable du palais présidentiel de Bachar al-Assad mandatée par le président syrien pour prendre attache avec l’Algérien. 

Pour comprendre le pourquoi du comment, un flashback s’impose. Twitter a été, tout au long de ce week-end, le théâtre d’un chassé-croisé entre le journaliste syrien d’Al Jazeera Faisal Alkasim et Derradji. Tout est parti d’un tweet du présentateur du programme «La direction opposée» sur la chaîne qatarie dans lequel il dit ses quatre vérités sur le régime au pouvoir à Alger. «Un régime conspire avec l'Éthiopie contre l'Égypte. Un régime s’allie avec l'Iran contre les Arabes. Un régime hostile à son voisin arabe, le Maroc. Puis il dit vouloir la réunification des Arabes lors d'un sommet arabe», a-t-il écrit.

Cette publication a tétanisé le régime algérien, d’autant plus qu’elle a coïncidé avec des journaux arabes influents qui se posaient la question légitime du bien-fondé d’un sommet de la Ligue arabe abrité par Alger alors que cette dernière conspire contre et divise les Etats membres de l’instance. Voir ce sommet ajourné pour une deuxième fois, après l’échéance annulée du mois de mars, serait une humiliation sévère pour un régime dont les médias chantent le «grand retour sur la scène internationale».

Preuve de la panique qui s’est emparée de la junte suite à ces publications, le Premier ministre Aïmen Benabderrahmane a déclaré dimanche 4 septembre que «tout est fin prêt pour le Sommet de la Ligue arabe. Nous sommes prêts à 100%.» Cause toujours! Et le chef de la diplomatie algérienne, Ramatane Lamamra, a renoncé le même jour à l’un des principaux highlights de la junte: le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. Son ministère a annoncé dans un communiqué que Lamamra s’est entretenu, dimanche, au téléphone avec son homologue syrien Faisal Mekdad, qui a affirmé que son pays préfère que la question liée à la reprise de son siège au sein de la Ligue des Etats arabes «ne soit pas soulevée» lors du Sommet d'Alger. C’est ce qui s’appelle: panique à bord.

Revenons à notre inénarrable commentateur. Douze heures après les salves de Faisal Alkasim (le temps de recevoir les directives de ses nouveaux maîtres?) et dans un style très médiocre, Derradji publie un post pour accuser les Syriens d’avoir détruit leur pays en se soulevant contre leur président: «L'important est que nous ne trahissons pas, nous ne vendons pas notre pays, notre cause, notre honneur, et nous ne sommes pas fiers de la destruction de notre pays pour faire tomber notre président. L'Algérie n'a pas dit qu'elle réunira les Arabes, car ils ne se réuniront pas, en raison de la propagation de drogues et d'hallucinogènes, et du volume croissant de normalisation avec une entité qui cherche à empêcher la tenue du sommet en Algérie en utilisant ses agents.»

Il s’est ensuivi une série de tweets de part et d’autre. Mais ce dimanche, un nouveau protagoniste est entré en jeu: Maysoun Berkdar.

L’activiste syrienne a appelé le commentateur et s’est fait passer pour une responsable au palais présidentiel de Bachar al-Assad, dûment mandatée par le président syrien pour à la fois féliciter le commentateur algérien pour ses prises de position et l’inviter à Damas. La raison de la communication: le soutien présumé du président syrien à Hafid Derradji dans sa petite querelle avec Faisal Alkasim. 

«Sanaa» (le prénom utilisé par Maysoun Berkdar) a commencé par miroiter à l’Algérien que «tout le palais présidentiel, à sa tête le président Bachar al-Assad, est derrière lui et qu’il le considère comme un symbole qui défend les pays que le soi-disant printemps arabe a ruinés». Ses quelques mots flatteurs ont suffi pour que Derradji fléchisse et montre son vrai visage. «Les personnes comme lui (Faisal Alkasim, ndlr) se réjouissent de l’effondrement de leur pays», a-t-il d’abord lancé avant de répondre favorablement à l’invitation de «Sanaa» pour une prochaine visite à Damas. Derradji a, ensuite, espéré voir très prochainement le président syrien en Algérie.

En réponse à la question de savoir si Derradji a publié un autre tweet pour présenter des excuses au peuple syrien, le commentateur sportif s’est empressé de nier: «Jamais. C’est lui qui l’a expliqué ainsi.»

Pour s’expliquer tant bien que mal, le journaliste a lancé une chimère dont lui seul a le secret: «Les Syriens sont libres de s’opposer. Nous avons des opposants en Algérie et nous les respectons. C’est leur droit.»

Quant à une possible présence de Bachar al-Assad lors du prochain sommet de la Ligue arabe, prévu en Algérie, Derradji en est certain. «Il sera présent. L’Algérie insiste pour qu’il y prenne part. Nous sommes pour le retour de la Syrie à la Ligue arabe. Nos positions sont claires là-dessus, même si elles déplaisent à certains», a-t-il lancé.

Celui qui voue une haine féroce au Maroc, certainement dictée par les promesses et les largesses de ses maîtres galonnés dont il est devenu l’un des porte-voix dans le Golfe, n’a pas tardé à repositionner, sans transition, le débat sur les relations maroco-algériennes. «C’est une pression marocaine. Vous connaissez les problèmes que nous avons avec le Makhzen et vous avez suivi les attaques dont je fais l’objet sur les réseaux sociaux, depuis plus d’un an. Je suis certain qu’il est (Faisal Alkasim, ndlr) utilisé par le régime marocain. Ils détiennent, peut-être, des choses sur lui. Il a même commencé à tweeter en darija», s’est victimisé celui qui ne rate pas une occasion pour cracher son venin sur le Royaume.

Après ce monologue humoristique, Maysoun Berkdar a révélé au sbire algérien sa véritable identité. «Vous vous êtes perdu en soutenant un régime dictateur, assassin, qui a tué et déplacé tout un peuple. Vous tourner en ridicule était trop facile», a asséné l’activiste syrienne au commentateur qui, pour une fois, a perdu ses mots.

Maysoun Berkdar n’a même pas besoin de tourner en ridicule Derradji. Il le fait très bien tout seul… à l’instar du régime algérien.



Par Adil Azeroual
Le 05/09/2022 à 07h59, mis à jour le 05/09/2022 à 08h50