Il faudra attendre pour voir un deuxième joueur africain embrasser le Ballon d’Or, après George Weah en 1995. Mais nous avons toujours eu la faiblesse de considérer les joueurs brésiliens comme étant un peu africains. Et Vinicius est probablement le plus Africain des Brésiliens, et ce n’est pas une question de couleur de peau, loin de là.
Pour comprendre pourquoi ce garçon gagnera le B.O, il suffit de regarder sa prestation, en milieu de semaine, lors de ce Real–Dortmund (5-2). Vini, comme on l’appelle, a mis trois buts, dont un absolument fabuleux. Prise de balle près du rond central, en étant pratiquement immobile. Accélération foudroyante qui élimine pratiquement tout le milieu de terrain adverse, feinte de corps, arrivée aux abords de la surface et boum: un boulet de canon qui finit au fond.
Ce but, à lui seul, mérite et justifie tous les Ballons d’or. Ce but, et surtout ces enchainements, portent tout ce qu’on aime dans le foot. C’est magique, à la limite irréel.
Mais le plus beau, c’est de se dire: qui aurait pu prédire, il y a encore deux, trois ans, qu’un tel joueur serait capable d’un tel «geste»?
Il faut rappeler que lorsque Vinicius a débarqué à Madrid, il y a quelques années, précédé d’une réputation de crack en post-formation, beaucoup riaient de ses approximations. C’était le joueur qui réussissait le plus compliqué, mais loupait le plus simple. Il centrait au lieu de tirer, et il tirait au lieu de centrer. Et il était tout le temps en train de dribbler, même dans le vide.
Le malaise était tel que son partenaire au Real, Karim Benzema, alors au sommet de son art, n’avait pas hésité à dire: «Mais il (Vinicius) joue contre nous, on dirait!».
Mais ça, c’était avant. Les moqueries, c’est du passé.
Le Vini maladroit a laissé la place à un Vini taille patron, mature et tueur. Le garçon a gardé sa folie, son talent, son instinct et même son important déchet technique. Aucun problème. Mais il a su, à coté, travailler comme un fou pour améliorer ses qualités et soigner ses défauts. Les progrès accomplis par ce joueur sont juste phénoménaux. Il n’a rien changé, rien perdu, il a juste amélioré sa relation avec le ballon, sa prise de décision. Ce n’est pas seulement son corps qu’il a développé, mais son «cerveau», ce qu’on appelle plus communément son «QI foot».
Le fait qu’un tel joueur, hier encore moqué pour ses défauts, se retrouve aujourd’hui au sommet, est porteur d’une morale. Dans le foot, comme ailleurs, la réussite est une affaire de talent et surtout de travail, de détermination, de progrès. Quand on a tout au départ, et qu’on ne travaille pas dur, on stagne et on ne va nulle part.
En disant cela, on pense bien sûr à tous ces talents marocains, extraordinairement doués au départ, et qui n’ont jamais pu enchainer et confirmer au plus haut niveau. Ce n’est pas seulement la faute à «pas de chance».
Pour ne parler que des plus connus, un Bassir et un Timoumi, qu’on ne présente plus et dont le talent et l’apport sont incontestables, n’ont jamais pu franchir ce palier supérieur pour s’imposer durablement en Europe. Et des garçons comme Réda Riyahi ou Omar Nejjari, pour ne citer que ces deux magnifiques talents de la Botola, n’ont jamais décollé sur le plan international. Alors qu’ils auraient pu, voire du.
Tous ces joueurs avaient des progrès, c’est à dire des efforts supplémentaires à faire, et ils n’ont pas pu, pas su, les faire. Un Vinicius Jr, lui, a accompli ces progrès. C’est pour cela que sa réussite doit être enseignée dans les écoles de formations au Maroc et ailleurs en Afrique. Le talent brut, c’est un don de dieu, c’est une loterie et c’est magnifique. Mais le reste, c’est une question de travail, de boulot, d’efforts extraordinaires. Cela s’appelle le progrès, et c’est ce qui transforme un talent prometteur en crack de niveau mondial.
Vinicius Júnior.. DR