Soufiane El Bakkali n’a pas réussi à conserver son double titre mondial du 3000m steeple. Il aura suffi d’une mauvaise réception sur la dernière haie de cette finale courue à un train de sénateur, pour que le Fassi transforme l’or qui lui était promis en argent, synonyme de déception certes, mais qui met à nu certainement la légendaire solitude du champion déchu.
Pendant longtemps et pour encore quelque temps, Soufiane El Bakkali est l’arbre qui cache la forêt d’un athlétisme marocain sans certitudes et sans horizons, au point où nous sommes en droit de nous demander s’il y a une relève. Même si celle-ci servirait, encore et toujours, de cache-misère d’une discipline en panne de résultats, de performance et de gouvernance.
Un petit rappel historique s’impose pour dresser l’état général de ce sport. En 1983, un phénomène nommé Said Aouita remportait la première médaille du Maroc aux Mondiaux de Helsinki. Avec lui, des millions de Marocains apprenaient à aimer ce sport. Cet engouement était le symbole d’une époque où notre pays avait besoin d’être connu et apprécié à travers les performances de ses sportifs.
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Said Aouita et Nawal El Moutaouakkel étaient les symboles d’un Maroc jeune, ambitieux, qui ne se fixait aucune limite en termes de performances. Leurs titres olympiques, puis les records du monde du Caïd du demi-fond marquaient une époque où nous étions jeunes et insouciants, où nous étions tous devant le petit écran pour suivre les meetings, et où nous connaissions presque par cœur les temps de passage pour un éventuel record du monde sur le 1500 m, le Mile ou le 5000 m.
La success story d’Aouita allait connaître une suite avec la création du Centre national d’athlétisme. Tout d’abord avec peu de moyens puis ensuite avec la confiance de partenaires et de sponsors, la petite bande d’Aziz Daouda allait grandir et prouver que l’athlétisme marocain allait avoir une vie bien au-delà de Nawal et Said.
Brahim Boutayeb, Khalid Skah même s’il a toujours préféré bosser en marge des autres, Nezha Bidouane, Abdelaziz Sahere allaient occuper un espace bien à eux et gagner des médailles mondiales, olympiques, arabes ou africaines, pavant ainsi le chemin -ou la piste- à la génération de l’âge d’or de la course à pied marocaine.
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Entre 1995 et 2005 l’athlétisme national allait en effet occuper le haut de l’affiche, Hicham El Guerrouj se taillant la part du lion des highlights. Ses records du monde, sa quête de la gloire olympique, sa chute à Atlanta, ses larmes de déception à Sydney, puis de joie à Athènes, font partie de notre mémoire commune. Un héritage où se trouvent également des noms comme Nezha Bidouane, Salah Hissou, Brahim Lahlafi, Brahim Boulami, Ali Ezzine, Hasna Benhassi et Jaouad Gharib.
L’année 2005 à Helsinki représente d’ailleurs le chant du cygne d’une façon de faire de l’athlétisme, d’une manière de gérer la FRMA et de préparer nos champions. L’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante et d’un président technocrate devait amener une meilleure gouvernance, et surtout à capitaliser sur ce qui a marché, de façon à industrialiser le processus et en faire une vraie trademark marocaine.
Mais visiblement, celui qui a pris les destinées de l’athlétisme n’a pas choisi les hommes, ni l’approche qu’il fallait pour pérenniser une discipline qui a permis à notre pays d’avoir une place de choix dans le sport mondial.
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La mécanique a commencé par se gripper aux Mondiaux d’Osaka et aux JO de Pékin, puis les premières déceptions. En réalité, nous n’avions rien vu, puisque le Maroc allait disparaitre du tableau des médailles aux Mondiaux de 2009, 2011 et 2013, et se contenter des accessits du dernier des Mohicans Abdelali Iguider aux JO de Londres en 2012 et aux Mondiaux de Pékin en 2015.
L’arrivée au sommet d’El Bakkali à partir de 2016 a été une oasis dans le désert de Gobi, une vraie bouée de sauvetage pour un président en mal de résultats. A chacune des médailles du double champion du monde et olympique du 3000m steeple, le président de la FRMA prenait la pose photo avec le champion, histoire de s’attribuer une partie des mérites.
Mais les photos ne racontaient pas un contexte, où il avait tout fait pour séparer El Bakkali de son coach de toujours Karim Tlemçani. Cette amnésie momentanée suffisait à son bonheur. Seulement, le dirigeant a oublié qu’El Bakkali a un horizon définitif pour sa carrière: les JO de Los Angeles en 2028 pour une last dance.
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Et derrière, lui peu de bourgeons sont en train de pousser. En effet, à l’exception du très méritant Ben Yazid (5e lundi sur la même distance), aucun sportif n’a donné l’impression de pouvoir reprendre le relais. Ces figurants coupés au montage ne sont pas les principaux fautifs, puisqu’ils ont obtenu un minima pour pouvoir au moins faire le voyage au Japon.
La problématique réelle est une absence totale de la science de la course, du placement, du rythme qui a caractérisé leur participation. Elle est la résultante de la présence de coachs moins compétents que la fournée représentée par les Kada, Mandili, Ouajjou… qui travaillaient avec les champions de l’âge doré.
Tous ont quitté le navire de leur plein gré... ou pas. Tous refusent de parler d’athlétisme, car dégoûtés par un mode de gouvernance désastreux. Tous se sont heurtés à un certain moment, à un mur d’incompréhension, d’arrogance ou de mépris. Tous ont préféré s’éclipser en silence laissant derrière eux tant d’heures de travail, de souffrance et de dévouement.
El Bakkali est le dernier spécimen d’une race unique de champions. Une race en voie de disparition. Derrière elle, pointe à l’horizon le grand vide. À moins que ne pointe un champion qui ne devra ses moments de gloire qu’à ses propres efforts, puisque visiblement la FRMA sous sa forme actuelle est incapable de se renouveler, de comprendre le sens de l’Histoire qui indique simplement qu’avec les mêmes recettes ratées on n’obtiendra que les mêmes fiascos.
D’ailleurs, ce terme s’est transformé en pléonasme pour expliquer 18 ans de choix hasardeux de la part d’un top management plus soucieux de sa propre image que de celle de l’athlétisme de son pays.






