«En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle». Ces paroles, prononcées lors d’une assemblée à l’UNESCO par Amadou Hampâté Bâ, écrivain et ethnologue malien, n’ont jamais été aussi vraies. Belaïd Bouimid était en effet un érudit capable de passer du sport à la politique, en passant par la psychanalyse ou l’anthropologie. Ses références n’étaient pas corsetées par le train-train du journaliste de sport lambda, avec l’obsession de l’analyse technico-tactique, du papier d’angle lié au terrain ou des déclarations chocs de tel ou tel joueur, dirigeant ou coach. Belaïd aimait agrémenter le plus naturellement du monde ses réflexions par des citations de Paul Pascon, de Georg Wilhelm Friedrich Hegel ou de Jean-Paul Sartre. Anti-conformiste et surtout inclassable, il s’amusait à distiller soigneusement jeux de mots et calembours finement ciselés au gré de la conversation, ou à croquer le sport avec humour via ses célèbres caricatures.
L’érudit Belaïd était doublé d’un patriote dans le sens le plus large du terme. Patriote par son attachement à ses racines dans la région d’Azilal, par son enfance et adolescence à Mazagan, et par son amour immodéré de sa ville d’adoption, Casablanca. Avec lui, pas question de transiger avec le DHJ ou le Raja, même s’il évitait soigneusement les débats partisans. Ses amis au Wydad étaient aussi nombreux que ses compagnons de route chez les Verts et Blanc. Il était à la fois la boîte noire de Feu Maati Bouabid et de Feu Abderrazak Mekouar. Il était aussi viscéralement lié à l’histoire des différentes candidatures du Maroc à l’organisation de la Coupe du Monde. Sepp Blatter, ancien patron de la FIFA, avait été l’objet d’un coup de gueule de Camarade Président au moment de l’attribution du Mondial 2010. Belaïd, avec son flegme, abordait Blatter en lui demandant ce qu’il avait contre le Maroc. Un Maroc de progrès, d’ouverture et de tolérance.
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Homme de gauche, Belaïd aspirait à cet idéal. Il pouvait passer de longues heures à débattre avec des personnes qui ne partageaient pas forcément ses convictions. Le ton était résolument courtois, avec comme leitmotiv le débat d’idées au service d’un pays en mouvement. Et dans cet ordre d’idées, Belaïd Bouimid n’était nullement réticent à encourager les plus jeunes d’entre nous à vivre leurs rêves et à suivre leurs vocations respectives. Chez lui, le jeune étudiant, le petit stagiaire ou le journaliste confirmé étaient tous logés à la même enseigne, avec comme devise respect et ouverture d’esprit.
Enfin, Belaïd a été un des premiers journalistes à avoir une vision panafricaine. Élu en 2005 à la tête de l’AIPS Afrique, il a pu donner à cette instance un siège à Casablanca. Cet espace de vie, qui a presque 20 ans, est désormais le lieu de rassemblement de tous les reporters sportifs du continent de passage dans la capitale économique du Royaume. D’ailleurs, son décès, après une lutte digne et courageuse contre la maladie, a constitué un choc chez tous les confrères, de Tanger au Cap. Les messages de condoléances venus des quatre coins d’Afrique illustrent parfaitement le vide que laissera son départ.
Forcément, il restera chez chacun d’entre nous quelque chose de Belaïd Bouimid. Nous garderons en mémoire ses articles aux allures de punchlines, ses caricatures au vitriol ou ses chroniques où il aimait mélanger ses références éclectiques à la réalité de notre sport, et où la chute musicale était le fruit d’un long cogito de la part d’un homme qui a continué à réfléchir et à produire quasiment jusqu’à son dernier souffle de vie. Une vie ou plusieurs vies, car il n’y a pas eu seulement un Belaïd, mais des Belaïd. Adieu l’ami. Adieu Camarade Président.
Caricature de Feu Belaid Bouimid. Belaid Bouimid