Botola: la LNFP demande l’ouverture d’une enquête judiciaire après les accusations de l’Union Touarga

Abdeslam Belkchour, président de la Ligue Nationale de Football Professionnel (LNFP). Dr

L’Union Touarga Sport a brisé la routine silencieuse de la Botola en portant ses accusations d’ingérence arbitrale sur la place publique. La LNFP, via son président, a réagi en annonçant une plainte et l’ouverture d’une enquête judiciaire, tandis que le patron de l’arbitrage, Redouane Jiyed, se dit prêt à livrer son téléphone à la police scientifique. Les détails.

Le 11/11/2025 à 12h31

Ce qui s’est passé samedi à Khémisset dépasse le simple cadre d’un match de Botola. C’est un choc, une rupture, un moment où un club longtemps perçu comme mesuré et discipliné a décidé de se dresser. L’Union Touarga Sport, institution structurée et respectée, a choisi de dire stop aux décisions arbitrales qui s’accumulent.

La bascule s’est produite en conférence de presse après la défaite contre la RCAZ, samedi dernier. Abdelouahed Zamrat, coach de l’UTS, démissionne. Et il accuse. Pas à demi-mot. Pas en se cachant derrière les formules prudentes. Non. Il parle de matchs qui «ne se jouent plus sur le terrain», de résultats qui «se décident ailleurs», de «pressions» et d’«influences» qui dépassent les lignes blanches. Ses mots claquent comme une gifle. Rares sont ceux qui, dans ce championnat, ont osé aller aussi loin. Dans un football où l’on choisit souvent la diplomatie de façade, cela a résonné comme une rupture de ton et de système.

Zemrat a déroulé les faits, un à un: le penalty retiré contre le MAS, celui non sifflé face à l’Union de Yaacoub El Mansour, puis ce but refusé face à Zemamra alors que les images montrent une action jouée de la tête. L’Union Touarga estime que son projet est entravé.

Ces mots ont entraîné une onde immédiate: le directeur sportif, Adil Matni, a quitté son poste. Puis Abdelmalek Anbari. Trois démissions successives dans un club qui n’a rien d’une organisation improvisée.

Jiyed impliqué?

Et lundi, loin du tumulte du stade, Abdelouahed Zamrat est revenu sur un épisode précis qui, selon lui, illustre parfaitement le malaise: «lors du match contre le Maghreb de Fès, il y avait un penalty évident. L’arbitre de champ, très proche de l’action, avait d’ailleurs accordé la sanction. Mais, à notre grande surprise, la VAR l’a contacté pour lui indiquer que la faute se situait en dehors de la surface. L’arbitre n’a même pas pris le temps de revoir la séquence par lui-même».

Puis il ajoute, plus grave encore: «notre club filme les matchs en direct, nous savions donc exactement ce qu’il en était. Lorsque je me suis adressé à l’arbitre pour qu’il vérifie l’image, l’arbitre VAR nous a répété que l’action était hors de la surface. Et en plus, le directeur de l’arbitrage, Redouane Jiyed, les a appelés pendant la rencontre pour leur confirmer cela. L’arbitre m’a même montré le numéro sur son téléphone».

Une affirmation lourde, explosive, dont les implications dépassent l’arbitrage d’un match. Zamrat conclut: «ce que j’ai dit ne repose pas sur des rumeurs, mais sur les propos de l’arbitre lui-même. Redouane Jiyed suivait le match depuis chez lui, peut-être avec l’intention d’aider de jeunes arbitres, mais il n’est pas normal qu’une personne extérieure à la salle VAR influence les décisions».

La justice entre en jeu

Ce mardi matin, dans l’émission Mars Attack sur Radio Mars, le président de la Ligue Nationale de Football Professionnel, Abdeslam Belkchour, s’est exprimé pour la première fois depuis l’éclatement de l’affaire. Sa prise de parole, mesurée dans la forme mais lourde de sous-entendus, a marqué un moment charnière dans cette séquence. Il a d’abord tenu à rappeler le statut de son interlocuteur, presque comme pour reconnaître la légitimité du malaise exprimé par l’Union Touarga: «Zemrat est un cadre formé, appartenant à une institution respectable comme l’Union Touarga. Il n’aurait pas tenu ce genre de propos s’il n’avait pas ressenti une injustice». Cette phrase n’est pas anodine. Elle ne cherche ni à minimiser, ni à disqualifier. Elle acte, au contraire, qu’il existe un ressenti, une douleur sportive, qui ne peut être balayée d’un revers de main. Cela pose un constat: le problème n’est pas né de l’émotion d’une défaite, mais d’une accumulation vécue comme intolérable.

Cependant, au fil de l’entretien, le ton de Belkchour se tend. Sans hausser la voix, il déplace le débat vers le terrain de l’intégrité institutionnelle: «s’il est vrai que le directeur de l’arbitrage a contacté les arbitres durant un match, ce serait extrêmement grave. L’arbitre est indépendant. Toute directive extérieure est interdite». La phrase est claire, presque clinique. Elle rappelle les règles. Puis vient le point de bascule, celui qui modifie la nature du dossier et sort l’affaire du seul espace médiatique: «nous allons demander l’ouverture d’une enquête auprès des autorités sécuritaires et judiciaires». La Ligue ne cherche plus à calmer, elle déplace et transfère le dossier vers le judiciaire. Là où les mots doivent devenir preuves.

«Je suis prêt à remettre mon téléphone à la police»

Quelques minutes après l’intervention de Belkchour, c’est au tour du président de la Direction Nationale de l’Arbitrage, Redouane Jiyed, de sortir du silence. Là aussi, c’est sur les ondes de Radio Mars que la réponse a pris forme. La voix est maîtrisée, le discours méthodique, mais l’enjeu est clair: il s’agit de défendre l’institution, mais aussi sa propre réputation.

Dès le début, Jiyed se place sur le terrain de la responsabilité personnelle, presque comme pour couper court à toute ambiguïté: «je suis prêt à remettre mon téléphone à la police, ainsi que ceux de tous les arbitres qui ont dirigé les matchs de l’Union Touarga, s’ils le souhaitent. Je n’ai aucun problème avec cela. Et si l’on prouve que j’ai appelé un arbitre pendant un match, ne me pardonnez pas. Je suis prêt à rendre des comptes». Une posture frontale de l’ex-arbitre international: s’il y a faute, qu’elle soit établie.

Jiyed rappelle ensuite que les accusations formulées par Zemrat relèvent, selon lui, de déclarations «infondées» et qu’elles s’apparentent à des «accusations graves» qui doivent désormais être examinées dans un cadre formel. Il affirme être prêt à coopérer pleinement avec l’enquête annoncée par la Ligue, allant jusqu’à proposer la saisie et l’expertise scientifique de son téléphone. Une proposition rare dans le football marocain, et qui montre l’ampleur de la secousse provoquée par l’affaire.

Dans les prochains jours, l’enquête dira si les faits avancés sont avérés, exagérés ou mal interprétés. Mais, quelle que soit son issue, l’affaire a déjà produit un effet majeur: elle a rendu visible une fragilité structurelle que beaucoup percevaient sans jamais la formuler.

Par Adil Azeroual
Le 11/11/2025 à 12h31