Il y a des secousses qui bousculent un championnat. Et il y a celles qui dépassent les terrains, fissurent les certitudes et obligent un système entier à se regarder dans le miroir sans détourner les yeux. La crise que traverse aujourd’hui l’arbitrage marocain appartient à cette seconde catégorie: une rupture de confiance brutale dont les répercussions dépassent largement le cadre sportif.
Depuis les accusations de l’Union Touarga, la réaction de la LNFP, la mise à disposition par Redouane Jiyed de son téléphone, jusqu’à la retraite inattendue et déchirante de l’arbitre internationale Bouchra Karboubi, le football national s’est retrouvé face à une réalité que tout le monde connaissait, mais que personne n’osait formuler publiquement: l’arbitrage marocain vit une crise de légitimité. Et cette crise, aujourd’hui, n’est plus un chuchotement, mais un dossier judiciaire.
Rares sont les clubs qui, dans ce championnat, prennent le risque de sortir du langage policé et des sous-entendus prudents. L’Union Touarga Sport a choisi de briser ce mur d’hypocrisie qui entoure l’arbitrage national depuis des années. Les propos de Abdelouahed Zemrat, entraîneur de l’UTS, prononcés après la défaite contre la RCAZ, le 8 novembre dernier, ne relèvent ni de l’émotion, ni de l’impulsion. Ils relèvent d’un ras-le-bol accumulé.
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Le technicien évoque des matchs «qui ne se jouent plus sur le terrain», des décisions «influencées», et même un appel attribué au patron de la Direction technique nationale d’arbitrage (DTNA) durant une rencontre.
Ces mots ont fait éclater un malaise jusque-là contenu. La réaction en chaîne ne s’est pas fait attendre: trois démissions au sein du club, un président de Ligue qui évoque «une situation extrêmement grave» si les faits sont confirmés, et une enquête ouverte par les autorités judiciaires. Le football marocain n’avait jamais connu cela.
L’arbitrage, par nature, vit dans la contestation, mais quand un dossier sportif bascule sur le terrain judiciaire, c’est autre chose. C’est la reconnaissance d’un climat de suspicion généralisée qui dépasse les erreurs du week-end.
L’autre séisme porte un nom: Bouchra Karboubi, arbitre internationale et référence continentale. Sa lettre de retraite est un coup de tonnerre. Elle y décrit des pratiques préjudiciables, des provocations injustifiées. Dans la presse, on parle d’un stage où elle aurait été humiliée, puis expulsée, avant d’être exclue de la liste des arbitres retenus pour la CAN 2025. Résultat: à 38 ans, elle quitte tout, convaincue d’avoir été marginalisée.
Quand une arbitre de ce niveau, respectée et habituée aux grandes compétitions internationales, affirme publiquement que son parcours a été saboté, cela révèle une fissure bien plus profonde.
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Cette crise ne tombe pas du ciel. Depuis des années, l’arbitrage marocain porte à lui seul un poids démesuré: pression des clubs, impatience des supporters, manque de communication, manque de transparence et culture de l’opacité dans la prise de décision.
Et la VAR n’a pas réglé ces problèmes; elle les a multipliés. Chaque intervention devient une suspicion, une polémique, parfois une théorie du complot. Non pas parce que l’arbitre a tort, mais parce que le système autour de lui n’inspire plus confiance.
Aujourd’hui, l’arbitrage vert et rouge n’est pas seulement critiqué, mais isolé. Et un arbitrage isolé est un arbitrage vulnérable.
Le Maroc s’apprête à organiser la CAN la plus attendue de son histoire, et à co-organiser la Coupe du Monde 2030. Ces événements exigent un niveau d’intégrité irréprochable. Mais l’arbitrage, aujourd’hui, est la faille la plus visible du système.
Il est temps de revoir de fond en comble la gouvernance arbitrale, d’instaurer une transparence totale dans les désignations, de protéger les arbitres contre les influences, mais aussi contre les dérives internes, de créer un organisme de contrôle indépendant, de moderniser les méthodes de formation et d’évaluation, et surtout de replacer l’intégrité au cœur du projet sportif national. Rien de tout cela n’est impossible. Mais rien de cela ne se fera sans un choc. Et ce choc, nous y sommes.
Ce qui arrive n’est pas une catastrophe. C’est une opportunité. Celle de faire tomber les masques et de sortir des ambiguïtés qui minent notre football depuis trop longtemps.
La vérité finira par apparaître dans le dossier Touarga. La lumière devra être faite sur l’affaire Karboubi. Les responsabilités seront établies, d’un côté ou de l’autre.
Et quand les poussières de cette tempête retomberont, il faudra reconstruire. Non pas en maquillant, mais en refondant l’arbitrage marocain sur des bases solides, transparentes, dignes de l’ambition d’un pays qui veut jouer dans la cour des grands.
L’arbitrage marocain a besoin d’être crédible. Et la crédibilité, aujourd’hui, commence par reconnaître que l’on touche du doigt une crise… qui peut enfin devenir une renaissance.








