Je le confesse: je suis une créature dépolitisée, assumée, revendiquée, presque militante dans ma neutralité. Et ce n’est pas, comme le murmurent quelques mauvaises langues, par peur, par ignorance ou par souci de «rentrer dans son étui», comme le dit si bien l’expression populaire. Non: si je fuis le mot politique comme les heures supplémentaires, c’est tout simplement par dégoût.
Je m’explique: le jour où un débat dans un meeting politique (s’il y en a encore, de véritables débats) aboutira à une résolution concrète; le jour où un parti tiendra sa ligne idéologique sans virer de bord au gré des alliances les plus improbables (barbus main dans la main avec marxistes en costume trois-pièces), ce jour-là, peut-être, je songerai à remettre le nez dans les urnes. Jusque-là, je préfère rester spectateur ironique d’un théâtre où la pièce est souvent jouée d’avance et où le public ressort rarement satisfait.
Et pourtant, moi l’«apolitique», me voilà samedi dernier en train de marcher dans une manifestation. Pas un soudain accès de militantisme: j’étais surtout venu surveiller mon neveu, dix-neuf ans, gamer invétéré qui s’est découvert une fibre gauchiste et un goût pour les slogans. J’étais donc là en tonton prudent, pas en activiste: ni pancarte ni cris, juste une présence discrète.
Mais au final, je suis reparti avec une bonne leçon: celle de voir cette jeunesse, la Génération Z, se lever avec sérieux et dignité pour réclamer ce que nous avons trop longtemps accepté de voir se délabrer: la réforme urgente des systèmes de santé et d’éducation, la lutte contre la prévarication et le respect de la dignité et de la justice sociale.
Le déclencheur fut tragique: l’hôpital régional d’Agadir, où huit femmes ont perdu la vie en accouchant en l’espace d’une semaine. Huit décès évitables qui ont mis en lumière l’état de déliquescence d’un système censé protéger les plus fragiles. Ces drames n’ont pas seulement endeuillé des familles ; ils ont révélé la démission morale et intellectuelle de certains responsables et mis à nu les failles d’un secteur vital. La colère a grondé et la Génération Z s’en est emparée.
Ces jeunes, nés entre 1995 et 2010, ne se réclament d’aucune chapelle politique, rejettent les sermons moralisateurs et n’attendent pas qu’un parti les récupère pour avancer. Leurs priorités tiennent à l’essentiel: des écoles qui enseignent, des hôpitaux qui soignent, des institutions qui protègent.
Seulement, il reste le danger de la récupération politicienne: chaque mouvement populaire attire tôt ou tard beaux discours et calculs d’appareil. La Génération Z devra se protéger pour ne pas voir ses slogans devenir des tremplins pour d’autres. Samedi, elle a montré qu’elle savait marcher droit sans béquilles partisanes.
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Un hic, toutefois: au détour d’un cortège, j’ai entendu des slogans appelant à boycotter la prochaine Coupe d’Afrique des Nations, prévue du 21 décembre au 18 janvier, et même à s’opposer à l’organisation de la Coupe du monde 2030 au Maroc. Autant la colère contre les hôpitaux est légitime, autant le rejet de ces événements-phares relève d’un contresens. Car, au-delà du rayonnement qu’ils procurent, ces rendez-vous contribuent à l’aménagement du pays et, surtout, à l’amélioration des services de santé et de la sécurité publique.
On l’oublie: le cahier des charges de la FIFA pour le Mondial 2030, le fameux Yalla Vamos Bid Book, impose la création d’un réseau médical performant: personnels de santé formés, médecins d’équipes, kinés et urgentistes pour le football féminin, les jeunes et les arbitres, coordination entre la FRMF, les municipalités et le ministère de la Santé pour moderniser les hôpitaux référents, les secours d’urgence et les fan-zones. Ce même dossier prévoit un centre national de médecine du sport et de santé spécialisée au futur Grand Stade Hassan II de Casablanca: un pôle de soins qui profitera aux sportifs comme au grand public –et pour de longues années– après le coup de sifflet final.
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Ces compétitions ne détournent donc pas les moyens de la santé, elles en apportent. Elles laissent un héritage sanitaire et logistique durable qui servira le citoyen au-delà de l’événement. Refuser ces projets au nom de la colère actuelle, c’est risquer de tirer sur le mauvais but: se priver d’une occasion historique d’améliorer le système de santé que ces jeunes exigent justement de réparer.
Et comme pour clore le chapitre, le même week-end, les Lionceaux U20, enfants de cette Génération Z, ont battu l’Espagne 2-0 au Mondial au Chili. Eux jouaient pour la gloire sportive; les autres, pour la dignité sociale. Mais tous disputaient le même match, celui d’un Maroc qui gagne. Les jeunes, regroupés autour de la GenZ212, manifestent pour un Maroc meilleur. Mais ils doivent se méfier des très nombreux ennemis de notre pays qui soufflent sur les braises dans le vain espoir de le déstabiliser.
