Un vent de révolte souffle sur la planète foot

Gianni Infantino et Aleksander Čeferin

ChroniqueC’est une affaire de santé pour les joueurs. Ils sont clairement en danger. Le nombre de blessés longue durée dans tous les grands clubs est impressionnant depuis le début de la saison.

Le 20/09/2024 à 10h19

Pendant des années, les relations entre le football et la télévision ont été tumultueuses. Les dirigeants de clubs refusaient la diffusion en direct des matchs de leurs équipes. Ils craignaient que la télévision détourne les supporters des stades. Il faut dire qu’à l’époque, les places assises étaient rares. Les spectateurs s’agglutinaient en grand nombre, debout, dans des tribunes non couvertes, ouvertes aux courants d’air et à la pluie en hiver. La tentation était grande de rester à la maison et de regarder le match de son équipe favorite confortablement assis dans son fauteuil.

C’était un manque à gagner insupportable pour des dirigeants qui avaient du mal à joindre les deux bouts. Leurs recettes provenaient essentiellement de la vente des billets au guichet. Ils n’étaient pas seuls: les chaînes de télévision étaient également réticentes à la transmission des matchs. Transmettre un match de football coûte cher en équipements (camion régie, caméras, système de sonorisation…) et en personnel à mobiliser.

Au Maroc, la retransmission d’un match européen, acheté auprès d’une chaîne étrangère, revenait moins cher que celle d’un match du championnat local. C’est la Coupe d’Europe des Clubs Champions et la Coupe du Monde qui vont faire évoluer les relations entre le football et la télévision. Un rapport gagnant-gagnant s’est alors installé et a transformé le football en un spectacle de haute facture. La télévision a commencé à gagner de l’argent grâce au football lorsqu’elle a compris qu’il fallait indemniser sérieusement les clubs de football et améliorer l’expérience client en apportant des innovations techniques: la répétition des actions, les ralentis et la multiplication des angles de vue. Le ruissellement aidant, le cash dégagé va améliorer l’expérience des supporters. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la plupart des places, dans les stades, sont assises, numérotées, couvertes et même chauffées dans les plus grands complexes d’Europe.

Ce mariage réussi a permis au football, d’élite en tous cas, de gagner beaucoup d’argent. Des sommes considérables ont été accumulées par les deux plus grands organismes de football: la FIFA et l’UEFA. Ces deux organismes devenus très riches se sont mis en concurrence depuis quelques années déjà. La FIFA, dont le produit phare était la Coupe du Monde qu’elle organisait tous les quatre ans, s’est mise en tête d’organiser une Coupe du Monde des Clubs tous les quatre ans. Une nouveauté qui prolonge les saisons sportives, déjà longues, d’au moins un mois supplémentaire.

L’UEFA, qui s’est développée grâce à la Coupe d’Europe des Clubs, investit dans les compétitions entre nations européennes. Elle a créé la Ligue des Nations et développé l’Euro (de quatre équipes participantes jusqu’en 1976, la compétition est passée à 24 en 2024 lors de la phase finale). Ce n’était pas suffisant, elle a rajouté deux à quatre matchs supplémentaires en Ligue des Champions, sa compétition phare.

Toutes ces compétitions ont pour objectif d’engranger plus de cash et d’accentuer la rivalité FIFA-UEFA. La Ligue des Nations, censée remplacer les matchs amicaux entre nations, permet à l’UEFA de contrôler des matchs qui échappaient à son emprise. C’est donc l’appât du gain qui est le moteur de cette rivalité. Il est vrai que le public est demandeur. Le spectacle du football, avec la qualité des transmissions et le confort des stades, a attiré un public de plus en plus nombreux et a conquis des franges de la population jadis réfractaires.

Mais dans ce monde tout sauf bisounours, on a oublié l’essentiel: le joueur. C’est lui qui fait le spectacle. Il aurait dû être au centre des préoccupations. La cadence qui lui est imposée est cruelle. On pensait qu’avec les salaires indécents qui leur sont distribués, ils allaient accepter sans broncher. Ce n’est pas le cas. Il est vrai qu’avec un rythme de 70 à 80 matchs par saison, soit deux matchs par semaine, c’est insupportable. C’est aujourd’hui une affaire de santé pour les joueurs. Ils sont clairement en danger. Le nombre de blessés longue durée dans tous les grands clubs est impressionnant depuis le début de la saison. Ceux qui ont participé à l’Euro ou à la Copa América n’ont pas pu récupérer ni préparer correctement la nouvelle saison. Normal qu’ils se blessent, normal qu’ils réagissent aussi.

C’est ainsi que la FIFPro (Fédération Internationale des Associations de Footballeurs Internationaux) a déposé une plainte contre la FIFA concernant le projet de Coupe du Monde prévu en juillet avec 32 clubs et menace d’appeler à la grève si leurs revendications ne sont pas prises en compte. La FIFPro est une association chargée de défendre les droits des joueurs, notamment au niveau des conditions de travail.

Tout a commencé avec la déclaration de Rodrigo Hernandez, le joueur espagnol de Manchester City et candidat au Ballon d’Or. Il a suffi qu’il dise dans une critique du calendrier de plus en plus surchargé que «nous sommes très proches de la grève» pour provoquer un torrent de solidarités dans le monde du football. Il est vrai que cette saison est spéciale: certains joueurs ne se sont pas du tout reposés après l’Euro et les Jeux Olympiques. Si leur équipe est qualifiée pour la Coupe du Monde des Clubs, ils seront sur le qui-vive jusqu’à mi-juillet, date de reprise des entraînements pour la saison prochaine.

Il ne faut surtout pas oublier que les joueurs sont les principaux acteurs du football. Depuis, d’autres joueurs ont pris la parole, ils sont soutenus par leurs entraîneurs notamment Pep Guardiola et Carlo Ancelotti et ne comptent pas s’arrêter là. Une grosse révolte est en perspective, il faut s’y attendre.

Par Larbi Bargach
Le 20/09/2024 à 10h19