Et si, finalement, le beau jeu, c’était de gagner?

Le dessin de Gueddar.

ChroniqueÊtre sélectionneur des Lions de l’Atlas, c’est marcher sur un fil. Si tu gagnes sans séduire, on te reproche d’être frileux. Si tu perds en jouant bien, on t’accuse d’être naïf. Regragui, lui, avance au milieu de cette tempête.

Le 15/10/2025 à 19h23

J’étais au stade, hier soir. Au Complexe Moulay Abdellah, à moitié plein, mais tremblant au rythme des tambours, des drapeaux, des chants et de cette ferveur unique qui ne vit que sous les projecteurs d’un match des Lions de l’Atlas. J’étais là. Et, je l’avoue sans détour, j’étais de ceux qui voulaient du beau jeu. Du spectacle. Des dribbles, des passes millimétrées et des buts en cascade. Mais hier soir, j’ai compris une chose essentielle: le Maroc a changé, et moi aussi, je dois changer mon regard.

À ma gauche, un certain Mustapha, la cinquantaine, râleur professionnel et abonné à la critique. «C’est quoi cette équipe nationale!», s’emporte-t-il dès la 20e minute. «On nous avait promis du beau football, on a une équipe de quartier!»

Je le regarde, un sourire en coin. «De quartier, vraiment? Même après seize victoires d’affilée?»

Rien n’y fait. Pour lui, gagner sans séduire, c’est trahir le public. S’il existait un service après-vente à la FRMF ou un numéro vert, Mustapha y aurait déjà laissé trois plaintes et la moitié de son forfait. Parce que, voyez-vous, monsieur voulait un spectacle, avec panache et poésie, pas un 1-0 laborieux.

Pourtant, depuis le 7 novembre 2024, les Lions de l’Atlas n’ont cessé de rugir. Seize victoires consécutives. Un record mondial. Oui, mondial. Devant l’Allemagne, devant l’Espagne.

Cette série n’est pas tombée du ciel. Elle s’est construite brique par brique, but après but, dans l’effort et la rigueur: Zambie, Gabon, Lesotho, Centrafrique, Tunisie, Niger, Tanzanie, Bahreïn, Congo… Tout le monde y est passé. Et pourtant, il y a toujours des Mustapha pour réclamer «le beau jeu».

Je les comprends, au fond. Le Marocain est romantique dans la victoire comme dans la défaite. Il veut vibrer. Il veut se souvenir.

Mais la vérité, c’est que le football moderne n’est plus une affaire de frissons: c’est une affaire d’efficacité. Et Walid Regragui, lui, a choisi son camp.

Être sélectionneur des Lions de l’Atlas, c’est marcher sur un fil. Si tu gagnes sans séduire, on te reproche d’être frileux. Si tu perds en jouant bien, on t’accuse d’être naïf. Regragui, lui, avance au milieu de cette tempête.

Il n’a peut-être pas le charisme d’un Pep Guardiola, ni la prestance d’un Luis Enrique, mais il a ce que beaucoup n’ont jamais eu ici, à la tête de l’équipe nationale: la constance, la discipline et le résultat.

Et pendant que certains cherchent le beau jeu, les U20 s’apprêtent à disputer une demi-finale mondiale face à la France. Oui, une demi-finale de Coupe du monde. Après avoir battu l’Espagne, le Brésil et les États-Unis.

Mais ça, Mustapha ne le voit pas. Il est resté bloqué dans un Maroc d’avant, celui où l’on rêvait de passer le premier tour.

Le Maroc d’aujourd’hui gagne, avance, s’impose, et dérange même par sa réussite. Parce que, quelque part, nous ne sommes pas encore habitués à la victoire.

Alors j’ai demandé à Mustapha: «Dis-moi, si on te donne le choix entre un football chatoyant et une Coupe d’Afrique levée le 18 janvier, tu choisis quoi?»

Il m’a regardé, longuement. Puis il a souri: «Bon… la CAN quand même».

Et voilà. Tout est dit. Le football, c’est une école de réalisme. Et Walid Regragui, sans le dire, nous enseigne la plus dure des vérités: le beau jeu passe, la victoire reste.

Mardi soir, après ce 1-0 contre le Congo, quand les membres de l’équipe nationale ont fêté ce record historique, j’ai regardé autour de moi. Certains dansaient, d’autres pestaient.

Moi, j’étais simplement fier. Fier d’un pays qui gagne, fier d’une équipe qui ne lâche rien, fier d’un coach qui ne cherche pas à plaire mais à marquer l’histoire.

Sur le chemin de la sortie, Mustapha m’a glissé: «Tu sais quoi, finalement… ils ne jouent peut-être pas si mal». Et j’ai su à ce moment-là que Regragui venait de gagner un match de plus. Pas sur le terrain cette fois, mais dans la tête de «Ba Stouf».

Par Adil Azeroual
Le 15/10/2025 à 19h23