Depuis ses mésaventures à San Pedro, Walid Regragui est sous le feu nourri de la vox populi. Cette dernière rêvait de voir son Équipe nationale au sommet du football africain. Elle se voyait exorciser ses vieux démons liés à la CAN, une compétition que notre pays a remportée à une seule reprise, il y a bien longtemps, en 1976. Depuis ce sacre, déconvenues et déceptions se sont succédées, coûtant souvent leur emploi à tant de skippers du Mountakhab. De Faria à Renard, combien de sélectionneurs ont pu garder leur place après un échec face au révélateur de la bataille continentale? Et ceux qui ont échappé au couperet des présidents de Fédération, prompts à jeter un coupable en pâture à la plèbe, se comptent sur les doigts d’une main. Regragui fait partie de cette dernière catégorie. Mais son crédit n’est plus illimité comme il a pu l’être après le Mondial qatari.
Les deux tests amicaux contre l’Angola et la Mauritanie devaient lui redonner un second souffle, d’autant que la FRMF avait mis les petits plats dans les grands avec l’enrôlement de Brahim Diaz et Ilias Ben Seghir. Deux pépites appelées à donner plus de mordant à un secteur offensif qui avait montré ses limites en Côte d’Ivoire. Dorénavant, Walid dispose de deux atouts qui viennent se greffer au talentueux Ziyech pour donner au Maroc une force de frappe capable de nous faire gagner, dans une année, la CAN à domicile.
Ces deux arrivées très médiatisées -surtout celle de Diaz- ont redonné au footix de service l’impression qu’en empilant les individualités, les Lions de l’Atlas deviendraient surpuissants, invulnérables. Mais le football est un sport collectif, où le vécu, les automatismes et la définition des rôles sont prépondérants. On peut bien rameuter les solistes, collectionner des noms ronflants, les aligner comme des figurines Panini, à l’arrivée, il n’existe aucune certitude que la victoire sera au bout. C’est au sélectionneur de préparer l’animation de jeu adéquate afin de transformer l’addition de solistes, aussi virtuoses soient-ils, en un véritable orchestre philharmonique. Et visiblement, Walid Regragui n’y est pas parvenu lors de deux rendez-vous gadiris.
Sur le plan tactique, le sélectionneur a tâtonné pendant 180 minutes à la recherche de l’animation offensive idéale. Son 4-1-4-1 a été remisé dans les tiroirs au profit d’un 4-2-3-1 a priori plus offensif, plus séduisant. L’idée était de mettre Diaz et Ben Seghir dans les meilleures conditions, et de profiter également de la patte gauche de Ziyech face à des rivaux qui allaient stationner deux autobus en défense. C’est dans le passage des intentions aux actes que le plan du sélectionneur a laissé à désirer. Pourquoi?
Tout d’abord pour contourner et déséquilibrer les blocs défensifs bas, il faut une circulation de balle fluide et rapide à une, deux touches de balles. Autre impondérable, il faut également étirer sur la largeur la défense adverse, la fixer sur un côté et rapidement décaler dans l’autre sens. Or, nos milieux récupérateurs et relayeurs ont souvent relancé au ralenti, permettant au bloc adverse de se replacer et de bien coulisser.
Autre anomalie, la connexion Hakim-Diaz n’a pas semblé au point, du moins pas encore, donnant l’impression de deux patrons qui ne parlaient pas le même langage. Il y avait de la friture sur la ligne entre un Brahim vertical dans les petits espaces et un Achraf installé dans sa zone de confort. Dans le cas d’espèce, Regragui a-t-il bien défini les rôles? A-t-il expliqué aux joueurs quelle serait la mission de ses deux chefs d’orchestre en puissance? A-t-il convaincu son capitaine de chausser un nouveau rôle?
Diaz et Ziyech ne se sont jamais trouvés. Ben Seghir a percuté, mais trouvé peu de solutions. Ounahi, si précieux par son volume de jeu semblait perdu, et l’attaquant de pointe de service (Kaabi ou Rahimi) a souvent couru dans le vide. Le coaching n’a pas non plus permis de changer le cours des matchs, notamment contre les Mourabitounes. Le onze national s’est contenté d’une animation prévisible, guère variable et finalement inoffensive.
Enfin, les coups de pied arrêtés n’ont pas été exploités, alors que jamais, durant l’ère Regragui, les Lions de l’Atlas n’ont obtenu autant de situations favorables devant la surface adverse. Pour rappel, dans le football moderne, 40% des buts sont marqués sur des coups francs et corners. Or, le citoyen lambda gardera l’image des 3 artificiers (Ziyech, Hakimi et Diaz) en constante concertation sur l’ordre des tireurs, comme si rien n’avait été prévu ou travaillé à l’entraînement.
Résultat des courses, comme à chaque fois que l’EN version Regragui s’est confronté à ce type de stratégie défensive: un zéro pointé. Comme face au Paraguay, au Pérou ou le Cap Vert, coach Walid n’a trouvé la solution ni sur le rectangle vert, ni devant le parterre de journalistes.
Car oui, Regragui a de plus en plus de mal à convaincre lors de ses interventions devant les médias. Alors qu’il était le champion des punchlines, ses explications semblent désormais approximatives, tirées par les cheveux. Aujourd’hui, il demande du temps et de l’amour pour les joueurs. Il rappelle également dans chacune de ses interventions l’épopée du Qatar. Ces éléments, qui peuvent conditionner les joueurs ou le grand public, ressemblent désormais à un 33 tours rayé. Ne faudrait-il pas d’ailleurs que Regragui ajuste son discours vers des éléments de langage plus concrets? Ne devrait-il pas parler enfin de plan de match, de stratégie de jeu ou d’animation dans ses interventions?
Une communication plus terre-à-terre, plus technico-tactique pourrait coller à la conjoncture actuelle. Celle d’un pays appelé à gagner la CAN qu’il organisera en 2025. Celle aussi d’une nation arrivée 4ème du dernier Mondial et qui est désormais crainte par ses adversaires.
Walid Regragui a deux mois pour revoir sa copie. Il sait qu’il est attendu au tournant par les 30 millions de sélectionneurs qui existent au Maroc. Cette fois-ci, il aura comme mission de gagner les matchs officiels devant la Zambie à Agadir et le Congo à Brazzaville, dans le cadre des éliminatoires du Mondial 2026. S’il n’atteint pas cet objectif, son crédit risque d’être épuisé. Walid Regragui, en vieux routier du football, connaît les contraintes du métier. Il sait que le meilleur ami du sélectionneur est le résultat. Faute de quoi, il sera exposé au tribunal populaire versatile, qui a la fâcheuse manie de brûler aujourd’hui ce qu’il a adoré hier.