Les scènes de liesse à Casablanca et la joie des fans du Raja ont contrasté avec la déception des supporters de l’AS FAR. Les Aigles verts ont incontestablement mérité leur 13ème titre, récompense qui vient valider une enviable synergie entre les instances dirigeantes du club, le coach, les joueurs et le public. Les hommes de Josef Zinnbauer ont marqué les esprits avec les 72 points engrangés en 30 journées, sans le moindre faux pas. En face, l’AS FAR a joué au lièvre, mais n’a pas eu le souffle nécessaire pour terminer la Botola Pro en tête. Les Militaires peuvent se consoler avec l’idée d’avoir lutté pour le titre jusqu’au bout, battant au passage le record de buts marqués en championnat.
Toutefois, si ces deux clubs méritent tous les éloges, il serait légitime de s’interroger sur la compétitivité des autres clubs en lice lors de ce cru 2023/2024. La RSB partait cette saison avec des ambitions légitimes, vu le mercato réalisé par le club de l’Oriental. Mais les Berkanis ont jeté l’éponge à mi-chemin, terminant même à 20 gros points du champion. Douze mois plus tôt, le FUS finissait à seulement 12 longueurs de l’AS FAR, qui avait réussi à remporter le titre après une longue quête. Le Wydad, qui a dominé ses pairs le long d’une décennie, s’est sabordé cette saison, cédant 28 points à son rival de toujours. Il est vrai que les plus indulgents pourront excuser les Rouge et Blanc, englués cette saison dans les problèmes extra-sportifs.
Au bas du classement, les chiffres sont encore plus parlants. Habituellement, le cut pour éviter la relégation était dans la fourchette des 32/33 points. Cette saison, le Chabab de Mohammedia a esquivé le trou noir de la Botola 2 avec 25 unités, en ayant réussi l’exploit de ne plus marquer le moindre but… depuis février dernier. Ses joueurs n’ont pas secoué les filets adverses durant les 10 derniers matchs, soit plus de 900 minutes! Et pourtant, ils feront partie des équipes qui ont sportivement conservé leur place parmi l’élite. Le MCO, malheureux relégable, a vécu quasiment le même cauchemar
Un paradoxe parmi d’autres. En effet, le niveau d’excellence des équipes de tête est contrebalancé par la qualité du spectacle proposé, et des événements extra-sportifs qui ont émaillé toute la saison. On en citera des clubs qui se sont retrouvés «sans terrain fixe», accusant ainsi d’un gros manque à gagner côté billetterie, notamment pour le Big Three (30 millions de dirhams pour le Wydad, et autant pour le Raja), des matchs à huis clos, ou encore une nouvelle fournée de litiges agrémentée de grèves systématiques.
Le citoyen lambda peut se montrer compréhensif par rapport à la problématique des travaux de relooking des stades, appelés à abriter la CAN 2025 puis le Mondial 2030. Il peut aussi invoquer la question de la sécurité des personnes et des biens pour justifier le huis clos imposé pour certains matchs, mais que doit-il penser des dirigeants incapables d'honorer leurs engagements vis-à-vis des joueurs et des entraîneurs? Comment justifier les 38 litiges aujourd’hui devant la FIFA et impliquant des clubs de la Botola? Comment expliquer enfin que seuls quatre clubs ont répondu aux exigences de la Ligue nationale de football professionnel (LNFP) concernant la procédure d’octroi des licences?
L’AS FAR, le FUS, la RSB et le RCAZ, et à un degré moindre le Raja, étaient dans les clous. Huit clubs seraient en sursis, dans la mesure où leurs dossiers sont incomplets, et trois cancres n’ont même pas pris la peine de répondre au courrier de la Ligue. Par désintérêt, par déni ou, plus grave, par inconscience de l’enjeu? À l’heure où la FRMF et la LNFP tentent de mettre à niveau le football national, les clubs, censés être les pivots de ces deux institutions, le nivellent par le bas.
En résumé, la Botola n’en est pas à une contradiction près. Selon la CAF, elle mène le bal des championnats sur le continent, mais sur le terrain de la réalité, elle ne crée toujours pas la moindre plus-value. Ses revenus ont stagné, et aucun effort n’est entrepris pour augmenter ses ressources humaines et financières. À ce rythme, même les clubs de l’élite ne seront plus suffisamment compétitifs dans les tournois africains. De là à envisager un retour du cycle noir, qui a perduré de 2008 à 2016, quand nos clubs n’envisageaient même plus de rejoindre la phase des groupes dans les compétitions continentales, il n’y a qu’un pas à franchir.