Le football doit savoir se protéger du populisme et de la récupération politique

Hakim Ziyech, sous la tenue de son club de Galatasaray, brandissant le drapeau palestinien.

ChroniqueHakim Ziyech s’est laissé embarquer dans une démarche limitée à la publication d’un post incendiaire sur les crimes en cours à Gaza. Une démarche maladroite, populiste et complètement inefficace.

Le 11/10/2024 à 15h28

Le football n’est pas un sport comme les autres. Sa popularité et son appropriation par les franges les plus défavorisées de la société contribuent à sa singularité. Dans les pays jadis colonisés ou sous protectorat, c’est un butin de guerre, une prise territoriale qui a permis l’occupation d’un espace que l’on croyait réservé aux colons.

C’est aussi un moyen d’exprimer une identité nationale, régionale, politique ou même religieuse. Réservé aux élites européennes, le football a très vite conquis les autochtones qui se sont naturellement pris au jeu. Ce n’était pas évident. Certains colons racistes estimaient que le football était trop compliqué pour les locaux et qu’ils auraient du mal à en comprendre les règles et, pour les pratiquants, le rôle de chacun. Ils n’imaginaient même pas, bloqués dans leur bunker idéologique, que parmi les locaux allaient se révéler non seulement des joueurs brillants, mais aussi des entraîneurs compétents et des dirigeants hors pair.

Les colons se sont lourdement trompés. Au Maroc, comme un peu partout en Afrique, le football a été un instrument de promotion sociale, un marqueur identitaire et un agent efficace de la résistance. Larbi Ben Barek, le meilleur joueur de tous les temps pour ceux qui ont eu la chance de le voir évoluer, Abderrahman Belmahjoub, le Prince du Parc, la fameuse triplette du Wydad et tant d’autres ont marqué l’histoire de cette activité pendant le protectorat. Des entraîneurs se sont distingués, dont l’emblématique Père Jégo, concepteur du jeu spectaculaire du Raja de Casablanca des premières années. Comme tous les autres, il a utilisé le sport pour promouvoir l’identité marocaine. Ils ont été encadrés par d’illustres dirigeants, dont le plus emblématique d’entre eux est le Marocain Mohamed Benjelloun, le fondateur de la célèbre équipe du Wydad de Casablanca et plus tard Président du Comité national olympique marocain. Il a marqué son époque: le Wydad, parfaitement géré, a remporté plusieurs titres devant des clubs soutenus par la résidence. Moulay El Hassan, prince héritier à l’époque, ne s’est pas trompé: c’était leur plus fervent supporter.

Ils ne se sont jamais risqués dans la politique ni même exprimé un avis sur la cause nationale. Leur silence était pourtant éloquent, assourdissant et avait une portée autrement plus forte. Grâce à leur présence, leur sérieux et leur parcours respectifs, ils ont illustré leur engagement nationaliste. Leur charisme les positionnait comme des porte-paroles naturels de la volonté d’indépendance du pays. Ils étaient soutenus, encouragés et portés par un public fidèle et sensible à leur engagement sportif.

Les discours politiques avaient leurs spécialistes. Ils étaient nombreux, compétents et encadrés dans des partis dont les chefs ont marqué l’histoire du pays. Ils avaient la chance de défendre une cause juste et bénéficiaient de la qualité d’écoute du père de la nation, feu Mohammed V. La réussite du projet s’explique en grande partie par la discipline que se sont imposée d’une part les sportifs et d’autre part les militants. Les mélanges de genre, c’est comme le bricolage dans la composition des équipes: ça mène droit au mur.

Bien entendu, le footballeur n’est pas une machine froide indifférente à son environnement. C’est aussi un être humain sensible et conscient des difficultés de ses compatriotes. Il s’implique souvent dans des actions de solidarité en vue de recueillir des fonds pour des associations caritatives. Les joueurs des équipes nationales marocaines ont souvent été sollicités ; ils n’ont jamais manqué à leur devoir.

En Europe, des joueurs se sont aventurés dans des actions politiques spectaculaires, courageuses mais souvent populistes. Ils ont cherché à dénoncer des dictatures et à réclamer des informations sur des disparus. Les plus anciens se souviennent de la démarche d’un ancien grand joueur français, Dominique Rocheteau, l’ange vert. En 1978, à l’occasion de la onzième édition de la Coupe du Monde, il s’est rendu au principal commissariat de la ville avec une liste de disparus pour lesquels il souhaitait connaître le sort. Il profitait de son immunité sportive pour mener cette démarche courageuse. Une action tout à fait inefficace qui s’est traduite par le durcissement des conditions de détention et Dominique Rocheteau n’a pu obtenir aucune information sur les disparus.

Plus proche de nous, Hakim Ziyech s’est laissé embarquer dans une démarche identique limitée à la publication d’un post incendiaire sur les crimes en cours à Gaza. Une démarche maladroite, populiste et complètement inefficace. Elle a été supprimée par l’intéressé et récupérée par les franges opportunistes de notre société ainsi que par les services de nos adversaires pour rester corrects. Il a oublié au passage qu’il avait connu ses heures de gloire au sein de l’Ajax d’Amsterdam, le club historiquement le plus proche du pays qu’il dénonce ; un club qu’il a contribué à rendre plus riche grâce aux buts qu’il a marqués et au cash qu’il a laissé après ses transferts.

L’émotion qui l’a poussé à un tel engagement politique est tout à fait compréhensible ; tous les Marocains y sont sensibles. Le timing est moins favorable: il correspond à une baisse de régime et à l’arrivée de concurrents plus jeunes au poste qu’il occupe. Il avait mieux à faire et d’autres idées à creuser: lancer une cagnotte par exemple pour venir en aide aux centaines de milliers de sinistrés de Gaza en est une. Il aurait pu bénéficier du soutien des autorités et gagner l’estime par le haut. Ce qu’il a fait relève plutôt d’une récupération par le bas. C’est triste pour notre capitaine.

Par Larbi Bargach
Le 11/10/2024 à 15h28