Le cœur du football, celui des clubs, se situe dans l’hémisphère nord, la zone de l’Europe de l’ouest. En dépit des parcours exceptionnels de certains pays sud-américains, c’est en Europe que le football s’est développé. Pourtant, le Brésil, l’Argentine ou l’Uruguay ont remporté dix Coupes du Monde sur vingt-deux au total, à eux trois. Les meilleurs joueurs du continent américain, à l’exception notable du Roi Pelé, ont tous fait carrière dans des clubs européens. Maradona, Messi, Ronaldo, Ronaldinho, Socrates, Di Maria, Aguero ou Romario ont tous brillé dans des clubs espagnols, italiens, français, portugais ou hollandais. Formés en Amérique du Sud, à l’exception notable de Messi, venu très jeune à Barcelone, ils ont tous fait, plus tard, le bonheur de leur pays d’origine.
Leur transfert vers des clubs européens est structuré. Les joueurs sont accompagnés et pris en charge pour éviter les filières clandestines et l’appât du gain d’intermédiaires véreux. Avant d’atterrir dans un méga club européen, les joueurs ont souvent transité par des clubs de moyenne importance et accumulé de l’expérience avant le grand plongeon vers des clubs majeurs.
Au niveau de l’accueil, les clubs européens se sont également organisés. Le Real Madrid, Barcelone, les clubs anglais, hollandais et portugais disposent de structures importantes dans tout le continent sud-américain, à la recherche du nouveau «Messi». Le Real Madrid a eu la main heureuse ces dernières années avec les recrutements de Vinicius, Rodrygo ou Valverde. Barcelone, avant le Real, s’était positionné sur ce créneau. Avec Messi, déniché très jeune et formé à la Masia, et Neymar, ils ont beaucoup profité de ce filon. Les clubs anglais ne sont pas en reste: Liverpool, les deux clubs de Manchester et Chelsea sont souvent présents lorsqu’il s’agit de convaincre un jeune adolescent de signer un pré-contrat. La FIFA veille à la protection des mineurs et sanctionne durement les trafics de jeunes footballeurs.
Des talents, on en trouve en grand nombre en Afrique. Le continent est probablement celui du football. C’est ici que la marge de progression de ce sport est la plus importante. Les joueurs d’origine africaine sont malheureusement peu mis en valeur. Ils ne sont, pour la plupart, pas formés dans leur pays d’origine et ceux qui finissent par briller sont souvent nés, formés en Europe et jouent pour leur pays d’adoption en lieu et place du pays de leurs ancêtres. C’est frustrant mais assez logique. L’Afrique, qui regorge de talents, reste à la traîne et regarde, en spectateur, ses enfants briller ailleurs. On pense aux Zidane, Benzema, Lamine Yamal, Mbappé, Camavinga et à tous les autres.
Au Maroc, on l’a compris. Le pays a investi des sommes considérables dans la formation à travers la construction de l’Académie Mohammed VI. Les résultats sont là et on a pu le constater à Qatar et à Paris à travers les parcours des équipes nationales A et Olympiques. Conscients qu’il fallait aller plus loin, une convention a été signée récemment entre la Fédération Royale Marocaine de Football et l’Office Chérifien des Phosphates pour accélérer, professionnaliser et développer la formation au sein des clubs. Compte tenu des moyens financiers et humains consentis, on peut parier, sans risque de se tromper, que la réussite sera au rendez-vous. C’est magnifique mais insuffisant. En plus d’une politique de formation, il faut développer une stratégie de valorisation des talents. Les joueurs marocains, brillants demi-finalistes de la dernière Coupe du Monde et meilleure équipe du tournoi olympique, ne font pas la «une» des transferts de la saison.
Sur le plan local, les joueurs de la «Botola», qu’ils soient marocains ou étrangers, ne génèrent pas les plus-values que leurs clubs sont en droit d’attendre en termes de transferts. On doit y réfléchir et examiner ce qu’il se passe ailleurs. Un pays européen, le Portugal, a beaucoup investi dans la détection et la vente de talents étrangers. Entre 2011 et 2020, les transferts via le championnat portugais ont généré un excédent de 3 milliards de dollars, soit 300 millions de dollars chaque année, l’équivalent de 3 milliards de dirhams l’an. À titre de comparaison, les clubs marocains, dans leur ensemble, reçoivent chaque année l’équivalent de 170 millions de dirhams, c’est dire l’importance de développer cette nouvelle source de revenus.
Le Maroc a les atouts pour devenir le Portugal de l’Afrique en football. La fédération a signé 44 conventions avec des fédérations amies sur le continent. Elle peut s’en servir pour créer une nouvelle source de recettes au profit des clubs marocains, mais aussi de leurs clubs formateurs dans le continent. Les Portugais ont compris qu’un joueur, aussi talentueux qu’il puisse être, a besoin d’adaptation avant d’atterrir directement en Espagne ou en Angleterre. Le risque d’échec est grand. Par contre, s’il transite par le Portugal, c’est beaucoup plus simple au quotidien, en termes de climat, de nourriture et de langue. En dix ans, 1556 joueurs ont transité du Brésil vers le Portugal, un record. Achetés pour des montants abordables alors qu’ils sont juste des espoirs, les joueurs sont revendus très chers une fois leur talent avéré. Au Maroc, si l’on veut imiter le Portugal, il faut développer une filière de transferts et de valorisation des joueurs vers l’Europe. Elle doit concerner les Marocains issus des meilleurs centres de formation du Maroc et les meilleurs espoirs étrangers que l’on espère pouvoir convaincre de tenter l’aventure de la Botola. L’objectif sera de booster le championnat national et valoriser la filière marocaine comme tremplin vers l’Europe. Le tout avec dans le viseur le bénéfice des pays pourvoyeurs, les clubs formateurs et les clubs de transit. Une autre forme de coopération sud-sud et une nouvelle facette des contrats gagnant-gagnant.