Polémiquer autour de l’arbitrage fait partie du folklore de l’écosystème du football. On aime bien responsabiliser les arbitres des défaites de nos équipes préférées. C’est un sujet qui revient souvent dans les discussions entre copains et amateurs de football. Il occupe une place privilégiée dans les débats sur les «chats» des réseaux sociaux.
Ce n’est pas nouveau. Avant Internet, les controverses sur l’arbitrage étaient déjà l’objet principal des discussions sur les terrasses de cafés le lundi matin. À l’époque, les matchs du championnat étaient programmés le dimanche. Le lendemain était le moment idéal pour refaire le match, évaluer les joueurs, les entraîneurs et discréditer l’éventuelle victoire adverse pour les avantages qu’elle aurait reçus, avec des arguments qui relèvent d’une conviction quasi religieuse.
Comme toutes les activités humaines, le football comporte sa part d’injustice. On peut fournir un très beau match et le perdre. Les meilleures équipes du monde ne sont pas à l’abri d’un jour sans, et les meilleurs joueurs d’un raté. Il n’y a pas une légende du football qui n’a pas raté un penalty décisif ou un gardien qui n’a pas encaissé un but gag. C’est la loi du sport et la loi de la vie. Aucun joueur en méforme n’a été soupçonné de tricherie pour un tir raté ou un contrôle défaillant. Tous les joueurs bénéficient de leur droit à l’erreur.
Ce n’est pas le cas des arbitres. Eux, n’ont aucune excuse. Toutes leurs erreurs sont considérées comme des fautes et souvent associées à une corruption présumée. En Espagne, depuis qu’a éclaté le scandale «Negreira», l’ancien vice-président de la commission d’arbitrage, c’est devenu la norme. Là-bas, on ne parle plus de mauvais arbitrage mais d’arbitrage suspect. Une accusation qui affecte les arbitres de toutes les équipes. Le FC Barcelone, principal concerné par cette affaire, n’est pas la seule équipe à susciter des soupçons d’avantages.
Si le Barça l’a fait, les autres le font aussi ; ce n’est juste qu’une question de temps pour le découvrir, suggèrent les supporters du club catalan. Pour rappel, le Barça reconnaît avoir payé le vice-président de la commission des arbitres mais pour des conseils en arbitrage. Leurs adversaires pensent que c’était pour changer le cours des matchs. Cette affirmation n’est accompagnée d’aucune preuve à ce stade de l’enquête. Cette affaire a laissé des traces et provoqué un discrédit total du corps arbitral en Espagne et ailleurs dans le monde.
L’arbitrage pose problème depuis longtemps, mais pas depuis toujours. Il fut un temps, au début du siècle dernier, où l’arbitrage était assuré par les deux capitaines d’équipes. La compétition et la professionnalisation du football ont obligé les organisateurs à désigner une personne neutre, l’arbitre, pour prendre les décisions qui s’imposent. Au début, l’arbitre central officiait tout seul avant d’être rejoint par des adjoints: les arbitres dits de «touche» ou suppléants, chargés de l’avertir en cas d’hors-jeu, de touche ou de corner. Les critiques n’ont pas cessé, et les erreurs d’appréciation non plus. Des solutions ont alors été expérimentées. Elles ont plus ou moins réussi sans réduire les polémiques. Des tentatives de réforme ont concerné le nombre de décideurs: cinq arbitres au lieu de trois. Un échec.
La solution finale, en cours actuellement, sera celle de l’ajout d’un quatrième arbitre, chargé des aspects administratifs du match (suivi des changements, contrôle des feuilles de match…), et la mise en place de deux innovations technologiques majeures: la Goal Line Technology pour vérifier que le ballon a bien franchi la ligne de but et l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) pour permettre à l’arbitre de revisionner sous plusieurs angles des actions litigieuses. Cette solution semblait être en mesure de réduire les réclamations ; ce n’est pas le cas. Une fuite d’un rapport de la commission des arbitres de l’UEFA vient de reconnaître une grosse erreur d’arbitrage pendant l’Euro, en quart de finale. Un penalty aurait dû être sifflé en faveur de l’équipe d’Allemagne pour une main de l’Espagnol Marc Cucurella dans la surface de réparation. Un penalty qui aurait pu donner l’avantage à la Mannschaft, l’équipe nationale allemande, et modifier la trajectoire des deux équipes dans cette compétition. Ce penalty, tout le monde l’a vu sauf les arbitres. On voulait faire de cet Euro un championnat exemplaire. C’est raté!
Cette exemplarité passait par une amélioration de l’esprit du jeu. Pour éviter la pression que certaines équipes mettaient sur l’arbitre pour chaque décision, les instances ont décidé d’interdire toute interaction entre les joueurs et l’arbitre du match. Seul le capitaine d’équipe pouvait demander des éclaircissements éventuels pour une action litigieuse. Cette nouvelle directive a eu l’effet inverse depuis sa mise en œuvre: certains arbitres distribuent des cartons jaunes à la pelle pour un simple geste d’humeur d’un joueur, alors qu’ils se contentent d’accorder un coup franc pour un geste dangereux. Des arbitres plus sensibles aux atteintes à leur amour-propre qu’à la protection et à la sécurité des joueurs, c’est une dérive inattendue et surprenante. Elle ne va pas améliorer la popularité des arbitres ; bien au contraire, elle contribue à leur détestation. Pourtant, faut-il leur attribuer la responsabilité de toutes les défaites? Ce serait une grosse erreur, inspirée par la colère qui n’est jamais bonne conseillère.