Le football a cette capacité unique à rassembler, à fédérer des foules, à offrir des moments de communion rare. Samedi soir à Alger, le Mouloudia d’Alger (MCA) était censé vivre l’un de ces instants suspendus, ceux qui marquent l’histoire d’un club. Une neuvième étoile attendue, espérée. Mais la nuit s’est muée en cauchemar. Dans les tribunes pleines à craquer du stade 5 Juillet, une barrière a cédé. Des supporters ont chuté de plusieurs mètres. Bilan officiel: un mort, 50 blessés. Bilan émotionnel: un pays en état de choc.
Ce qui devait être une fête a viré au drame. Et très vite, au-delà de la douleur, une colère sourde a envahi les réseaux sociaux. Parce que cette tragédie n’est pas un simple accident. Elle est le symptôme d’un mal plus profond, celui d’infrastructures à bout de souffle, d’une gestion hasardeuse, de décisions politiques qui ne tiennent jamais compte de la réalité du terrain.
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Le stade du 5 Juillet, immense cathédrale de béton inaugurée il y a plus de 50 ans, n’est plus à la hauteur des ambitions du football algérien. Chaque saison, il fait l’objet d’annonces de rénovation, d’enveloppes budgétaires faramineuses, de promesses. Mais dans les faits, rien ne change. Les barrières restent fragiles. Les sièges se fissurent. Les accès sont mal pensés. Et samedi, ce manque de rigueur a coûté une vie.
Des témoins présents dans la tribune affirment qu’aucune bagarre ni mouvement de foule n’a précédé la chute. Selon eux, c’est bien l’effondrement d’un ensemble de sièges qui aurait provoqué la panique, entraînant ensuite l’écroulement de la barrière métallique. Sur une page Facebook de supporters du MCA, un message dénonce les «versions imaginaires» de certains médias et appelle à ouvrir une enquête immédiate. Le ton est grave et ferme. Les supporters n’en peuvent plus.
Et comment leur donner tort? À quelques kilomètres de là, le stade Ali la Pointe de Douéra, inauguré en grande pompe en 2024, est toujours fermé. Deux matchs seulement ont été disputés sur sa pelouse: un en Ligue des Champions face à l’US Monastir, un autre contre le Paradou AC, sans public. Puis, silence. Fermeture. Déjà? Pourquoi? Nul ne sait. Pendant ce temps, on continue à remplir le 5 Juillet jusqu’à saturation, malgré tous les signaux d’alerte.
La Ligue nationale de football a eu le réflexe d’annuler la remise du trophée. Geste fort, mais purement symbolique. Le président Tebboune, lui, a présenté ses condoléances sur X. C’est bien. Mais cela ne suffira pas à calmer la colère. Ce que réclame aujourd’hui la rue, ce sont des comptes. Une enquête indépendante. Une transparence absolue. Et, surtout, des décisions concrètes: moderniser les stades, renforcer les contrôles, imposer des normes strictes.
Ce n’est pas la première fois que le foot algérien est endeuillé. Et si rien ne change, ce ne sera pas la dernière. Le pays compte des millions de jeunes passionnés. Ils remplissent les stades, vibrent pour leurs couleurs, chantent, crient, pleurent. Ils ne demandent pas la perfection. Juste un minimum de respect, de sécurité, de considération.
Le Mouloudia est champion. Mais ce titre a un goût amer, presque honteux. Le football est un jeu. Il ne devrait jamais se transformer en tombeau. Samedi soir, c’est l’indifférence des autorités, leur légèreté chronique et l’absence de vision qui ont tué. Pas le sport.