Derby Casablancais: à la recherche du temps perdu

Adil Gadrouz

ChroniqueLes joueurs, entraineurs et dirigeants passent, mais le véritable patrimoine du Wydad et du Raja sont le public et les trophées.

Le 11/04/2025 à 16h39

Quelques heures seulement nous séparent d’un nouvel épisode passionnant du duel fratricide entre le Wydad et le Raja. Pendant 90 minutes, toute une ville, voire tout un pays, sera paralysé pour suivre les péripéties d’une rivalité qui a débuté à l’aube de l’Indépendance, avec ses anecdotes, ses moments de tension et de partage.

L’enjeu sportif est plus important pour les Rouge et Blanc, qui visent une nouvelle qualification en Champions League, mais les Aigles verts ont également besoin d’une victoire de prestige.

Abderrahim et Omar sont des amis de 30 ans. Ils sont tous deux originaires de Derb Sultan, et partagent un vécu et des souvenirs communs. Tout les réunit, sauf le football. Le premier nommé a l’amour du Wydad chevillé au cœur et au corps. Son alter égo a joué, entrainé et fait partie à une certaine époque du comité du Raja.

Leurs retrouvailles dans un café de la Métropole, tournent autour de souvenirs qu’ils prennent plaisir à distiller à petites doses. Leur discours prône souvent la modération, la sagesse et surtout le respect.

Ce sont trois vertus qu’ils essaient de prêcher envers les plus jeunes. Et à ce niveau là, ce sont les histoires et parfois les légendes, qui reviennent souvent dans leurs discussions.

Le Père Jego qui a laissé des traces indélébiles au Wydad aux côtés de Haj Mohamed Benjelloun et de la génération des fondateurs. La triplette Driss, Abdeslam Chtouki, l’épopée de la Coupe d’Afrique du Nord sont des faits historiques avérés qui rappellent la grandeur du club qu’encourage Abderrahim.

De son côté, Omar rappelle le passage historique du Père Jégo au Raja, avec un style de jeu privilégiant le jeu court, le dribble et l’aspect esthétique parfois au détriment du résultat.

D’autres noms liés à leur quartier commun hantent leurs souvenirs. Feu Abdelkader Jalal et Kacem Kacemi, tous deux éducateurs hors pair qui ont façonné tant de petits Dolmy.

Et puis dans le lot de souvenirs, les rencontres quasi quotidiennes entre Feus Mekouar, Maati Bouabid et Abdellatif Semlali viennent corroborer l’idée que la rivalité se circonscrit sur le rectangle vert et qu’elle s’arrête au coup de sifflet final pour redevenir une amitié de tous les instants.

La comparaison avec notre époque revient inéluctablement. Evidemment autres temps, autres mœurs. Nos deux amis vivent le derby avec les plus proches, foncièrement plus radicaux dans leur approche de la rivalité. Abderrahim et Omar ne se retrouvent pas visiblement dans le comportement de leurs descendants respectifs.

Ces derniers regardent l’autre non plus comme un adversaire mais comme un ennemi. Ce comportement peut parfois dépasser la boutade, la blague de bon gout, voir le clash élégant pour se transformer en diatribe avec un peu de révisionnisme et beaucoup de mauvaise foi, amplifiés par les réseaux sociaux.

Inlassablement, leur discussion cette semaine tourne également autour des résultats décevants cette saison. Abderrahim avait fondé quelques espoirs sur le recrutement XXL du Wydad et l’arrivée de Mokwena. Omar, lui, se disait bien qu’après une saison historique, le Raja allait marcher sur l’Afrique.

Le Wydadi y va de son analyse personnelle sur les options dogmatiques du coach du WAC, sur le processus de reconstruction qui devrait prendre plus de temps que prévu, avec comme leitmotiv Casa ne s’est pas faite en un jour.

En face, le Rajaoui qui a tâté de la gestion, estime que 5 coachs en une saison ça déboussole même le joueur le plus outillé sur le plan tactique. En plus, les bugs en termes de gestion, l’instabilité des présidents et la crise financière latente sont autant de fardeaux pour son club chéri.

Finalement, dans cette discussion de café tous deux finissent par valoriser le rôle des supporters, rappelant qu’ils sont l’atout numéro 1 du club. Leur présence qui n’est pas garantie pour le match de ce samedi les interpelle et les inquiète avec une affirmation légitime: Les joueurs, entraineurs et dirigeants passent, mais le véritable patrimoine du Wydad et du Raja sont le public et les trophées.

En tous cas, ces deux amis restent partagés entre nostalgie et réalisme. Entre des temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre, et un présent différent où tout n’est pas rose, mais tout n’est pas à (re)jeter non plus.

Tous deux seront devant leur télé samedi soir. Tous deux vivront le match avec la volonté de redécouvrir ce Complexe Mohammed V new look, de manière passionnée avec le même principe et la même devise; celle de feu Abdellah Settati, qui a d’ailleurs entrainé les deux clubs à des périodes différentes: «Le WAC et le Raja sont des adversaires pendant 90 minutes et des amis pour la vie».

Par Amine Birouk
Le 11/04/2025 à 16h39