Trophées individuels: la malédiction des arrières latéraux écarte Hakimi du titre de meilleur joueur africain

Achraf Hakimi célèbre après avoir marqué le troisième but du Maroc face aux Etats-Unis en quart de finale du tournoi olympique 2024 au Parc des Princes à Paris le 2 août 2024.. AFP or Licensors

ChroniqueLes latéraux devront encore attendre. Dani Carvajal et Achraf Hakimi, candidats malheureux de cette année aux prix individuels décernés par la FIFA et la CAF, ont pourtant accompli une saison exceptionnelle au sein de leurs clubs et sélections respectifs. Ils ne sont pas les seuls historiquement: jamais un arrière latéral n’a été désigné ou élu meilleur joueur continental ou mondial.

Le 19/12/2024 à 22h13

La malédiction des arrières latéraux a encore frappé. Hakimi, le nouveau et futur capitaine de l’équipe nationale marocaine et grand favori du titre de meilleur joueur africain de l’année 2024, a été coiffé au poteau par le talentueux Ademola Lookman, finaliste malheureux de la dernière Coupe d’Afrique des Nations avec le Nigéria et auteur d’un triplé en finale de l’Europa League remportée par son club, l’Atalanta Bergame.

Le Marocain Achraf Hakimi était pourtant le favori présumé, compte tenu de son parcours avec l’équipe nationale des U-23, médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Paris, et de ses titres avec son club, le Paris Saint-Germain. Il était d’ailleurs venu en famille pour assister à la cérémonie de clôture des CAF Awards, accompagné de son président de club, Nasser El Khelaifi. Dans un petit coin de leur tête, tous les Marocains pensaient que la communauté africaine allait enfin récompenser un joueur des Lions de l’Atlas en reconnaissance de leur parcours au Qatar et aux Jeux Olympiques. Plus personne ne regarde le football africain comme auparavant, et Achraf Hakimi, parmi d’autres, y a beaucoup contribué.

Ce sont des émotions éphémères qui ont dicté le vote. Ademola Lookman a crevé l’écran en finale d’une compétition européenne; cela a marqué les esprits. Pas question de remettre en cause la décision du jury et le vote démocratique qui a abouti à ce résultat, mais rien n’empêche d’essayer de l’expliquer en toute objectivité.

Ce n’est pas le seul arrière latéral victime du vote d’un collège électoral chargé de désigner le meilleur joueur de la saison. Dani Carvajal, le joueur espagnol du Real Madrid, peut également s’estimer lésé. Auteur d’une saison époustouflante avec son club et en équipe nationale, il était tout à fait légitime pour le Ballon d’Or cette année. Il a remporté la Ligue des champions en marquant un but décisif en finale, la Liga avec son club ainsi que l’Euro avec la Roja.

Contrairement à Achraf, il n’était pas favori; c’est son coéquipier Vinícius Junior, finalement désigné meilleur joueur de l’année par la FIFA, qui avait les faveurs du public. Rodri, le milieu de terrain espagnol de Manchester City, a mis tout le monde, ou presque, d’accord en décrochant le Ballon d’Or «France Football» 2024.

Le titre de meilleur joueur de la saison est attribué selon une procédure de vote à laquelle sont associés, selon le prix, des journalistes, des entraîneurs nationaux, des capitaines d’équipes nationales ou de clubs, et parfois le public.

Ces votes ne sont pas objectifs pour plusieurs raisons. La plus importante est relative à la nature du football: c’est un sport collectif où chacun a sa part dans une victoire. On a beau marquer des buts; si la défense ne freine pas les contre-attaques adverses, on en encaissera davantage et le match sera perdu. Ce n’est pas la seule raison; ce sont souvent les émotions qui guident les votes du collège électoral quel qu’il soit.

Des émotions liées à un match décisif: c’est le cas pour Lookman, qui a brillé face au Bayer Leverkusen en finale et disparu durant la quasi-totalité du reste de la saison; à une équipe préférée ou à un sentiment patriotique pour un joueur du pays d’appartenance.

Bien entendu, il y a des éléments objectifs qui guident les votes: les titres accumulés, la régularité des prestations, les qualités intrinsèques, un leadership avéré, l’influence sur le jeu, le fair-play, le comportement et tant d’autres critères. C’est pour cela que les décisions doivent être acceptées avec sportivité. Toutefois on ne peut pas laisser croire au public qu’un joueur va gagner et dévoiler un résultat contraire le jour de la cérémonie. C’est bon pour le buzz et pour attirer l’audience, mais c’est mauvais pour le contenu de la soirée. Le public est sorti à Marrakech lorsque le nom de Lookman a été prononcé; c’est triste pour le joueur qui aurait mérité une ovation. Rodri a été sifflé à Paris pour son Ballon d’Or, alors que c’est un joueur remarquable. Il manque terriblement à Pep Guardiola, qui souffre en son absence.

Ce même public a voté massivement en faveur de Vinícius Junior avec 1.147.276 voix contre seulement 264.835 voix pour Rodri, selon les chiffres dévoilés lors de la cérémonie « FIFA The Best 2024 » au Qatar, troisième cérémonie de distribution des prix individuels de cette fin d’année.

Les latéraux devront encore attendre. Carvajal et Hakimi, les candidats de cette édition FIFA et CAF, ont été formés au Real Madrid et tous deux ont pourtant accompli une saison exceptionnelle au sein de leurs équipes respectives. Ils ne sont pas seuls historiquement: jamais un arrière latéral n’a été désigné ou élu meilleur joueur continental ou mondial.

Au Ballon d’Or, la priorité a toujours été donnée aux attaquants et dans une moindre mesure aux milieux de terrain; les titulaires de ces postes ont quasiment remporté tous les trophées. Les arrières centraux et les gardiens se sont invités quelques fois mais seul parmi eux le regretté Franz Beckenbauer a été élu deux fois : en 1972 et en 1976. Par contre, les latéraux n’ont jamais été récompensés. Pourtant ce poste est devenu essentiel dans le football moderne; c’est celui qui combine à la fois des responsabilités défensives et offensives à plein temps. Le latéral couvre ainsi de grandes surfaces et doit être capable de briser les contre-attaques adverses tout en initiant des situations de supériorité numérique en attaque.

De grands joueurs ont occupé ce poste : Carlos Alberto, buteur en finale de Coupe du Monde 1970; Paul Breitner, buteur pour l’Allemagne quatre ans plus tard; Giacinto Facchetti, capitaine légendaire de l’Inter Milan (2ème du Ballon d’Or 1965 derrière Eusébio); et Ruud Krol (3ème du Ballon d’Or 1979 derrière Kevin Keegan et Karl-Heinz Rummenigge).

Le Maroc n’est pas en reste, avec une tradition d’arrières latéraux qui ont beaucoup contribué au succès de l’équipe nationale; il suffit de rappeler qu’un latéral, Abdelkrim Hadrioui, est à l’origine de deux passes décisives qui ont propulsé le Maroc aux Mondiaux de 1994 et de 1998.

Ce poste doit être honoré un jour; il aurait pu l’être deux fois cette saison par la Fifa, la CAF ou France Football, mais il a été victime d’un vote basé sur des émotions liées à quelques matchs ou actions décisives. Ce n’est que partie remise : les deux couacs populaires des cérémonies vont donner matière à réflexion à l’avenir.

Par Larbi Bargach
Le 19/12/2024 à 22h13