Choix des joueurs binationaux: des Racines et des Ailes

ChroniqueLa sortie médiatique du directeur technique de la Fédération belge de football, à propos de la décision du sociétaire du FC Bruges Chemsdine Talbi de jouer pour le Maroc, a remis sur le tapis l’épineux sujet des binationaux d’origine marocaine et leur degré d’attachement à la sélection du pays d’accueil.

Le 06/03/2025 à 18h31

Vincent Mannaert est confronté à la même problématique que ses homologues français, espagnols ou néerlandais: il fait face à une fuite manifeste des joueurs d’origine marocaine, des talents qui rêvent de porter le maillot des Lions de l’Atlas. Mais a-t-il saisi le fond du problème? A-t-il compris la profondeur des liens qui unissent tous ces jeunes avec leurs racines? Visiblement non.

Le DTN est vexé et il l’a fait savoir aux médias de son pays. Le choix de la pépite Chemsdine Talbi l’a obligé à expliquer, à l’opinion publique belge, les raisons directes de la fin de non-recevoir d’un joueur, qui a fait toutes ses classes dans les sélections de jeunes du plat pays, avant de répondre favorablement à la proposition de la FRMF de rejoindre la tanière des Lions de l’Atlas.

Mais si le DTN belge n’a pas pris en compte la dimension affective et sportive de ce choix, son compatriote Thomas Meunier a un début de réponse plus convaincant.

Le sociétaire du LOSC qui était interrogé par le quotidien Le Soir a mis en exergue le poids d’une identité culturelle profondément ancrée. Selon Meunier, «tout dépend de l’éducation reçue. Ayant côtoyé de nombreux journaux binationaux ou trinationaux (sic), je vois à quel point la culture familiale est souvent plus forte que l’opportunisme sportif».

Un flashback dans le temps s’impose pour corroborer ce point de vue. En 1989, Abdellah Nasser et Mohamed Lashaf ont été les premiers joueurs appartenant à la diaspora marocaine en Europe, à répondre favorablement à l’appel du cœur et donc de la Sélection nationale. Mustapha Hadji et Rachid Azzouzi leur ont emboîté le pas.

Ces pionniers ont ouvert la voie à l’arrivée d’autres talents évoluant en Europe au point où leur apport quantitatif et qualitatif a éclipsé celui du joueur local. La CAN 2004 marquant même un point d’inflexion définitif.

A l’époque l’aspect sentimental était doublé pour certains d’une sorte d’opportunisme sportif, puisque la plupart n’étaient pas dans les petits papiers des sélectionneurs du pays d’accueil. Du coup, ceux qui s’estimaient en mesure de porter le maillot des bleus, de la sélection orange ou des diables rouges privilégiaient souvent, la mort dans l’âme, leur propre carrière personnelle.

Les cas Driss Boussetta, Adil Rami, Nacer Chadli et même Marouane Fellaini, Ibrahim Afellay ou Khalid Boulahrouz illustrent cette vision. Pour certains la décision reposait aussi sur des arguments objectifs, la logistique de la FRMF, ses ambitions, et les moyens mis à leur disposition ailleurs, étaient un argument bien plus solide et tangible que répondre à l’appel du sang.

Khalid Boulahrouz avait même un jour confié que son contact à la Fédération Royale Marocaine de Football lui avait demandé de payer son billet pour rallier Rabat et entrer en stage avec le Onze National. Adil Rami avait snobé une place dans la liste d’Henri Michel pour la CAN 2008 alors qu’il n’était pas encore dans les petits papiers de la FFF.

Aujourd’hui, la donne a fait pencher la balance ostensiblement au profit du Maroc pour deux raisons, l’une sentimentale, l’autre sportive.

L’aspect traditionnel et familial demeure le point de départ. Une petite visite dans chaque foyer nous donne illustration de chaque marocain du monde et son attachement à ses racines. L’utilisation à la maison de l’Arabe et/ou l’Amazigh par les parents permet de ne pas couper le cordon ombilical avec le bled.

Les images des télévisions publiques marocaines, la participation des auditeurs de la diaspora aux émissions interactives des radios prouvent le degré d’attachement à tout ce qui touche au Maroc. Et pour illustrer cet aspect, il n’y a rien de mieux que de rappeler à quel point la petite escale effectuée par Achraf Hakimi à Las Rozas, le centre d’entrainement de la Roja, n’avait pas eu d’impact sur le joueur formé au Real Madrid. Ce dernier estimant qu’il ne se sentait pas «comme à la maison».

Ce petit aspect lié au cœur est doublé par une raison plus objective qui chasse définitivement la notion d’opportunisme précédemment évoquée.

Il s’agit de la notion d’excellence à laquelle tend la FRMF, à l’inestimable travail de scouting effectué sur le Vieux continent et surtout au projet sportif proposé aux pépites évoluant en Europe.

La Fédération a aujourd’hui tous les atouts pour proposer une feuille de route cohérente à chaque sélectionnable venu d’Europe. Qatar 2022 a été, dans ce sens, un catalyseur dans le processus de réflexion de chaque jeune qui aurait une once d’hésitation.

In fine, les DTN belges, français, néerlandais, espagnols, allemands et italiens ont donc du pain sur la planche pour persuader les talents d’origine marocaine de la justesse de leur cause.

Bon courage pour trouver l’antidote à «Tamghrabit», ce sentiment d’appartenance à un État Nation vieux de 13 siècles, où le terme vivre ensemble n’est pas un vain slogan.

Danton affirmait en 1794, alors que ses amis l’incitaient à fuir à l’étranger pour éviter la guillotine pendant la révolution française, «qu’on n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers». Visiblement, les Hakimi, Ziyech, Diaz, Talbi… démontrent aujourd’hui que les crampons sont bien plus efficaces à cet égard.

Par Amine Birouk
Le 06/03/2025 à 18h31