Lettre ouverte à Walid Regragui

Walid Regragui, sélectionneur des Lions de l'Atlas

C’est la première fois que j’utilise la première personne du singulier dans cette chronique hebdomadaire. Je vais également employer le tutoiement, puisqu’elle s’adresse à une personne que je connais depuis près de 25 ans, avec qui j’ai eu des discussions franches et sincères sur le football en général, et sur l’Équipe nationale en particulier.

Le 11/06/2025 à 16h00

Très cher Walid,

Je t’écris cette lettre que tu liras peut-être… ou pas du tout. Je sais que tu es très pris, et que presque chaque instant de ton quotidien est dédié à préparer notre rêve à tous: gagner la CAN à domicile et exorciser cinquante ans de déceptions, d’attente et de frustrations.

Combien de fois avons-nous, toi et moi, échangé à ce sujet? Je pense que l’opinion publique a le droit de le savoir. Et puisqu’il y a prescription, permets-moi de dévoiler quelques confidences que tu m’avais livrées, à froid, après l’échec de la CAN 2006.

Nous étions dans l’avion du retour, celui qui devait nous ramener du Caire à Casablanca. La désillusion vécue lors de cette édition était tellement profonde que tu n’avais pas hésité à livrer le fond de ta pensée: tu avais évoqué les dysfonctionnements rencontrés en Égypte et pointé du doigt le comportement de quelques pseudo-vedettes.

Deux ans plus tôt, au lendemain de la réception triomphale après l’épopée de Tunis, tu avais déjà eu le recul nécessaire pour analyser la gestion ratée de la finale perdue face à la Tunisie. C’est dire, cher ami, que tu as vécu dans ta propre chair nos multiples échecs à la CAN. Tu les as subis en première ligne. Et en janvier 2024, tu as reçu une nouvelle piqûre de rappel à San Pedro, face à l’Afrique du Sud. Ce «bug» a davantage crispé l’opinion publique, et surtout entamé une partie du crédit que tu avais auprès des 36 millions de sélectionneurs que compte notre cher pays.

Cher Walid, j’en viens à l’objet de ma lettre. J’ai été le témoin privilégié de ton one-man-show à Fès, quelques minutes après le coup de sifflet final de Maroc–Bénin. Permets-moi de saluer ton honnêteté lorsque tu as jugé la prestation de tes troupes. Permets-moi aussi de reconnaître que tu es dans ton rôle en protégeant tes joueurs, en rappelant les inconvénients de la date FIFA de juin, la charge des matchs, les blessures, les absences, etc.

Mais fallait-il vraiment hausser le ton de cette manière devant les médias, et donc, par ricochet, devant l’opinion publique? Était-ce indispensable d’exhiber ton bilan et de rappeler tes douze victoires consécutives après un match qui, très honnêtement, ne restera pas dans les annales? Sache que tous les éléments que tu pourras mettre en avant appartiennent désormais au passé. Tu seras constamment jugé sur le match suivant, et l’examen final aura lieu lors de la CAN. En cas d’échec, ton avenir tiendra à un fil. C’est la dure loi du métier.

En t’écoutant ce soir-là -moment jouissif, il faut le dire, pour le journaliste que je suis- j’ai eu l’impression que tu cherchais à te défendre non pas contre les journalistes présents, mais face à ton propre environnement. Comme si les messages que tu envoyais ne s’adressaient pas directement à ceux qui t’interrogeaient sur le match, le jeu et les joueurs. Ton langage corporel était tendu, presque en contradiction avec ton discours, comme si toi-même n’y croyais qu’à moitié.

Un discours d’ailleurs centré autour d’une date: 2022. Cher ami, nous te remercions tous pour ce que tu as accompli au Qatar. Mais je pense qu’il est temps de descendre de ton nuage, ou de ta tour d’ivoire. Nous sommes en 2025, et le vrai défi t’attend chez nous, dans des conditions idéales non seulement pour les Lions de l’Atlas, mais aussi pour leurs rivaux. Qatar 2022, avec ses magnifiques images, a sa place au musée de la FRMF et dans nos albums photos. Pas davantage.

Avant toi, d’autres sélectionneurs ont cru être en position de force: Mardarescu après 1976, Faria après 1986, Henri Michel en 1998, ou encore Renard après la qualification pour 2018. Tous ont échoué, et tous ont été démis après la CAN suivante. C’est la règle du jeu. La triste réalité, celle qui transforme en un clin d’œil les héros en zéros.

Très cher Walid, lundi soir tu as exhibé tes diplômes. Ils témoignent de ta persévérance et prouvent que tu t’es donné les moyens d’occuper ce poste. Mais beaucoup te jalousent, et attendent le moindre faux pas. Pas seulement sur le terrain: dans l’exercice périlleux de la conférence de presse aussi. Ta dernière sortie m’a d’ailleurs rappelé celle de ton prédécesseur, qui se retranchait derrière son bilan. Elle ressemblait aussi à celle d’un certain Belmadi, chez nos voisins. Et franchement, en tant qu’homme de médias mais surtout en tant que citoyen, je n’ai pas envie de voir mon Walid «se belmadiser» ou adopter la rhétorique défensive d’un Vahid.

Pour conclure, tu vas sans doute bientôt prendre des vacances méritées… et studieuses. Prends le large, aère-toi l’esprit, évite les débats toxiques, et surtout mûris les bonnes décisions. En septembre, nous voulons retrouver un Walid en forme, souriant, apaisé, moins sur la défensive.

Et sur le plan footballistique, je suis en droit, comme tous les Marocains, d’attendre un groupe resserré, soudé, compétitif. Un collectif qui propose un jeu cohérent, avec des connexions claires, des circuits précis, un milieu qui joue vers l’avant, où certaines Prima Donna pensent davantage au collectif qu’à leur image.

Et enfin, sache que nous voulons tous créer autour de toi un élan populaire pour aller chercher cette CAN, et enterrer définitivement nos vieux démons. Pour que toi et moi, un jour, lorsque nous serons à la retraite, nous ne soyons pas contraints de ressasser le passé en disant, avec un soupçon d’amertume, que cette génération dorée est passée à côté d’une coupe qui lui tendait les bras.

Amicalement, et sans rancune, cher ami.

Par Amine Birouk
Le 11/06/2025 à 16h00